Nijinski reloaded.
Tu vois qui est Nijinski ? Un danseur russe qui explosa les codes du ballet classique pour inventer la danse moderne. En 1912. Avec un ballet appelé L'après-midi d'un faune, créé au Châtelet. Ah, je sens que ça te parle. Imagine : tous les danseurs de l'époque sont formés pour le classique, et lui, il arrive avec une gestuelle qui leur met les pieds en dedans et les genoux de travers, sans suivre la musique. Ré-vo-lu-tion.
On peut parler de démesure, d'exploration de l'excès. Sous le titre (H)ybris, le chorégraphe français David Drouard poursuit sa quête de Nijinski. Une pièce qui plonge dans les profondeurs de l'homme, dans ce qui le relie au divin et à l'humain. Avec une petite touche d'après-midi d'un faune. Ou avec 5 faunes, tiens.
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Le fond. Du moins, de ce que j'en ai compris. Tu l'as compris avec Métamorphoses, j'aime que l'on parle de l'Homme d'aujourd'hui à travers des figures anciennes, éternelles. A la suite de Nijinski, Drouard s'empare de Pan, le faune de la démesure, et dresse le portrait de l'humain en lui injectant un peu de faune. De la nuit où ils naissent, 5 personnages deviennent hommes, presque nus, l'esprit du faune s'empare d'eux, ils habitent le personnage, puis reviennent à l'état d'homme, un homme nouveau. Voilà ce que j'ai compris : Drouard nous emmène dans une fantasmagorie qui redessine l'homme moderne (rien que ça).
La forme. A thème barré, scéno barrée. Costumes, lumières, ambiance sonore, on est dans une pénombre, dans la brume, c'est électrique, on sent une intensité qui transporte, qui habite, qui étoffe le propos... qui te scotche pour connaître la suite.
Les interprètes. 5 breakers, ça en impose. Et le chorégraphe l'a bien compris : leur plastique sensationnelle est au coeur du propos, alignant les pectoraux et les dorsaux pour évoquer la puissance, la virilité, le désir. A un point qui laisse penser... à un défilé Abercrombie&Fitch.
GLOP
Le fond. J'ai cherché une trame, je l'ai trouvée. Mais si l'on s'en tient au texte de salle, aux intentions décrites, aux prescriptions de lectures, le spectacle ne promet rien qu'une errance dans des concepts, sans rien asseoir. Et quelque part, le spectacle tient ses promesses : l'homme avant et après le faune n'est pas changé - toujours habité de ces tensions ventrales, ondulations originelles, comme expression de la part animale - excessive - de l'homme. Donc, du début à la fin, changement de costumes, mais danse limitée.
La forme. La danse, disais-je. Hormis ces ondulations, rien. Danseurs fascinants, mais mal utilisés. Le hip hop est souvent maladroit, anecdotique, comme si l'homme faunisé allait soudain tourner sur sa tête après 1h à s'en tenir aux petits gestes nerveux, intérieurs. On s'ennuie.
Mais ce qui m'a le plus choqué est le multimédia. "Accessoirisés par les arts numériques, les corps objets des danseurs servent de support à des projections vidéo qui les distordent, les manipulent ou les dédoublent." peut-on lire ici. Pour moi, la vidéo en fond de scène dans un spectacle vivant soit être intelligente, pas démonstrative ou décorative. La plupart du temps, elle apporte au decorum du propos. Nuages, ombres, nuits... Et de temps en temps, pouf, captation numérique et danseurs dédoublés, ombres blanches en halo sur les ombres noires. Et c'est trop. Parce que kitsch.
ALORS ?
De sublimes tableaux, des interprètes fascinants, beaucoup (trop) de maladresses. Toutefois, on résume l'hybris grec par la démesure, sans préciser qu'il s'agit de l'excès passionnel, du dépassement des limites : c'est l'ego qui décide qu'il a besoin de plus, qu'il mérite plus. C'est une forme d'orgueil. Et l'orgueil n'était peut-être pas assez sur scène, et trop dans les coulisses.