Faux semblants.
Crédulité, n.f. : (lat. credulitas) trop grande facilité à croire quelqu'un ou quelque chose (Larousse).
Chacun expérimente le désagréable sentiment honteux à la découverte de sa crédulité, fût-elle cachée sous la politiquement correcte naïveté. La crédulité, c'est l'apanage de l'enfance - celle qui permet aux parents de faire croire au Père Noël et aux curés d'inculquer l'Immaculée Conception. Devenu adulte, l'humain a appris à ses dépends comment remettre en doute, connaître l'origine, comprendre les conséquences : il questionne, il apprend, il comprend, il élabore, en bon disciple de saint Thomas. Parce que la crédulité, à l'âge adulte, c'est de la bêtise.
Après, tant de choses poussent notre capacité au doute dans les replis de sa forteresse mentale : l'envie de croire, le besoin de croire, l'immanence de la croyance. Tout ce qui dépasse l'entendement permet l'irrationalité : la mort, l'amour, le désir, le dégoût - et, psychologie ou non, on sombre facilement dans la contradiction, dès lors que l'on pénètre les frontières de l'empirico-transcendantal.
Valley of Love, dernier film de Guillaume Nicloux, m'évoque cette question de frontière. A plusieurs titres, puisqu'il s'en donne à coeur joie, tout basé qu'il est sur les oppositions.
Le synopsis, si tu n'as pas compris : Isabelle et Gérard, deux acteurs français connus, se sont aimés, ont eu un fils, se sont quittés, on refait leur vie, et, bien des années après, ont perdu leur fils. Avant de se tuer, le fils leur a écrit une lettre leur demandant de passer 7 jours ensemble dans la Vallée de la Mort, séjour durant lequel il leur apparaîtra pour la dernière fois. On suit donc la confrontation d'Isabelle et Gérard pendant ces quelques jours, entre deuil, souvenirs et sentiments. Sous le soleil, exactement.
Quelles frontières, alors ? Elles sont nombreuses :
... entre la vraie vie et le cinéma
Gérard et Isabelle, Gérard Depardieu et Isabelle Huppert, des personnalités calquées sur l'image publique de chacun des comédiens, et des situations quotidiennes, entre conversations faites pour meubler et, traduisant une volonté forte de manquer d'ampleur, de délaisser le tragique au cinéma pour mieux épouser la forme documentaire. On sait qu'il y a du vrai, on sait que c'est pour de faux, mais... où est la frontière ?
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... entre la vie et la mort
Flirtant avec le fantastique, Valley of Love explore en filigrane le rapport à la Mort, par le truchement du rapport aux souvenirs. Parce que ce qui pointe le plus, dans ce film, c'est le passé : Gérard cherchant à relire la relation passionnée qui les a liés, Isabelle voulant soudain reconstruire une relation avec son fils disparu, comme pour réparer le passé - par peur de la culpabilité, surtout. Elle fait son voyage expiatoire, il fait son rituel de deuil. Mais de la Mort, au final, il est peu question : seul le souvenir compte.
On ne retrouve le questionnement sur la Mort - le nôtre, pas le leur - qu'à l'occasion de manifestations étranges - étranges pour eux, moins pour nous - parce qu'ils sont là pour voir apparaître leur fils dans le désert, saint Jérôme style. Nul Dieu toutefois, juste un besoin irrationnel d'avoir tort ou raison, face à la mort.
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... entre le réel et l'imaginaire
Changement de saint : après Jérôme, Thomas. Nous avons tous plus ou moins rejoint sa doctrine - Je ne crois que ce que je vois. C'est ce "plus ou moins" qui fait toute la richesse de nos discussions : croire ou ne pas croire. Ici, Isabelle croit aux signes - à certains signes - qui, de notre point de vue, l'arrangent pour aller jusqu'au bout de son périple, parce qu'il faut que ces signes en soient, sans quoi elle ne se débarrassera jamais de sa culpabilité. Elle a donc besoin de croire, et tout est bon à nourrir sa croyance. Les marques sur les chevilles ne peuvent qu'avoir été laissées par le défunt qui les guette. La croyance devient stupide folie lorsqu'un pragmatisme éclatant s'oppose à elle et la réfute. Et devine ce qu'est Gégé ? Exactement : un bon vieil incrédule, terre-à-terre, empiriste, refusant de trouver une raison à ce qui semble ne pas en avoir, mais refusant tout autant de se laisser gagner par le mysticisme. Faut pas déconner.
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... entre le bon et le mauvais cinéma
Mais au fait, bon ou pas bon, Valley of Love ? Comptons les points :
- Personnellement, l'équilibre banal/épique n'est pas bon : le film soulève beaucoup d'objets scénaristiques (l'objectif à atteindre, le rituel en étapes, les retrouvailles, les souvenirs,...) mais n'en creuse aucun. Tout est laissé à la marge, au profit de la conversation creuse entre les personnages, qui ne mène à rien de concret. Seul intérêt (attention, spoiler) : la conversion de l'un à la doctrine de l'autre... et pouf, générique. Bad point.
- Gérard Depardieu et Isabelle Huppert : casting de haut vol - la presse n'a parlé que de ça. Les "monstres sacrés" (sic) du cinéma français auraient donc tant à faire ensemble ? Pas si le scénario et la mise en scène sont laissés en déshérence. Parce que le jeu et les tempéraments semblent tout entiers dictés par la chaleur - écrasante - qui tout à la fois les énerve et les lasse plus vite de tout. Bad point.
- Aborder la thématique du deuil de l'enfant et à peine l'effleurer, quel dommage. Rien qui n'arrive à la cheville, par exemple, de La chambre du fils, de Nanni Moretti. Le fantastique (stigmates du contact avec l'au-delà, dans la terreur nocturne pour la mère, dans la tempête diurne pour le père) apporte une touche d'étrangeté, que notre incrédulité n'accepte pas de recevoir. Gros pari, grosses pertes. Bad point.
- Ne pas parler de la Mort dans la Vallée de la Mort. Appeler son film Valley of Love sans y faire vraiment fleurir l'amour. Ne pas jouer clairement sur la dichtotmie Love / Death. Ne pas célébrer le paysage naturel - alors qu'il est censé y avoir 7 étapes, dont on ne saura rien. Tout ça est un peu dommage. Bad point.
J'arrête là.
Donc ? Attends qu'il passe sur arte, tu me diras.
--------------- Pour continuer la réflexion ---------------
L'esprit qui doute se renseigne, disais-je : d'où le grand développement des informations, du journalisme, de la culture, des médias. Et, aujourd'hui, écrasés sous le poids du surplus livré brut sans analyse, on n'a plus le temps de questionner, ni de comprendre, donc d'analyser.
Et un esprit qui ne questionne plus en profondeur, en reliant les faits, les paroles et les actes à l'Humain, à la Nature et au Temps, est un esprit perdu.