Capilliculture
L'homme glabre à la Brad Pitt dans les années 90 est mort : le poil a gagné. A la fois affirmation de la virilité et objet design, la barbe est passée d'étendard de l'homme nouveau à banalité absolue. Pourquoi ? Parce qu'elle est aussi un correcteur naturel de visages : avec elle, finis les mentons trop longs, les peaux marquées, les visages dénués de charmes. Son adoption massive était donc inévitable.
La barbe, c'est l'objet de la série photo d'Olivier Vinot intitulée Festina lente ("hâtez-vous lentement").
Parti de l'envie de réaliser une série de portraits bruts, non retouchés, comme un coup de gueule contre le tout Photoshop, parce que "l’individu dépourvu d’artifice peut être beau, à condition de s’y attarder quelque peu." (dit-il). Son premier modèle est un barbu. La barbe, ses représentations, ses clichés : il n'en fallait pas plus pour que Vinot parte en guerre contre les idées reçues, à la conquête des hommes bruts et de leur barbe à eux.
Le résultat est tout d'abord fascinant. Regards directs, expressions gommées, comme une plongée dans la vérité nue de tous ces hommes. Pas d'artifices, pas d'airs empruntés.
Comme pour toute chose, la masse détruit la singularité. Posés côte à côte, alignés sur les mêmes éléments (les yeux ? la base du nez ?), regardés à la dérobée, sur un écran où ils défilent les uns après les autres, les disparités se gomment, l'humanité disparaît un peu : ils semblent tels des portraits-robots dessinés par ordinateurs ; changez un peu la barbe, éloignez un peu les yeux, non, le sourcil plus fourni, le nez plus long, la bouche plus forte... Des hommes comme si on pouvait choisir celui que l'on veut, sur catalogue. Des hommes différents, mais anonymes, sans histoires, comme des inconnus que l'on croise dans la rue sans s'en rappeler.