Ironie
Après la saignée de la Seconde Guerre Mondiale - et ses 17,8M d'hommes tombés au combat (sans compter les civils, donc) - le monde occidental relance la natalité et le progrès (social, intellectuel, culturel, économique) pour offrir à une génération entière un monde nouveau, une nouvelle société - marquée par l'affirmation des classes moyennes et de la société des loisirs. Et la paix, ou presque.
60 ans plus tard, les baby boomers qui ont marqué toutes les époques, du tout-jeunesse des 60's au tout fric des 80's, font aujourd'hui une cure de conservatisme, à en croire les études sur leur vote - qui n'est pas sans rappeler, d'ailleurs, le conservatisme de leurs parents au moment de leur prise de pouvoir après-guerre.
La folle jeunesse optant pour un nouveau monde, c'est, en quelque sorte, le propos de Berlin 56 (en VO, Ku'damm 56), mini-série en 6x 45min de l'Allemand Sven Bohse, évidemment diffusée sur arte, la chaîne qui nous allume.
De quoi ça parle ? L'école de danse de salon Galant est tenue par la rigide Mme Schöllack, garante des vertus et de la bonne éducation. Ses trois filles ont la vingtaine fleurissante, et des destins marqués : Helga, l'aînée exemplaire, va épouser son futur procureur général, Eva, la cadette calculatrice, fait de l'oeil à son chef médecin psy, et Monika, la benjamine décalée, n'est bonne à rien, sinon à danser le rock, cette danse de nègres. La mère Schöllack décide de prendre sa Monika en main, en la collant entre les pattes d'un fils d'industriel genre dark rebel, alors que la gamine est tentée par l'esprit libre d'un chanteur de bal un peu voyou. Les figures sont là, ne reste qu'à les frotter les unes aux autres, et surtout à la réalité de questions d'époque : statut de la femme, passage à l'âge adulte, société en reconstruction, avec en lignes de fond omerta sur le passé, questions sur le couple et la sexualité, et histoire de la musique et de la danse.
Si "de tous temps les vieux ont pourri la vie des jeunes", Berlin 56, en montrant le poids du formatage des jeunes gens pour construire une société immaculée, traduit bien l'éternel "ne commets pas les mêmes erreurs que moi (mais tu ne sais pas tout)". Une histoire de destins croisés rondement menée, avec un contexte historique prégnant et crédible, et des personnages aussi simples qu'aux prises avec une réalité dont la dureté aurait tendance à nous échapper. Mais surtout, en remettant les questions de fond de l'époque, en nous montrant, en creux, les progrès effectués depuis - de l'avortement à l'homosexualité.
Un scénario racé, une production pointilleuse et ambitieuse, un casting féminin convaincant - même si parfaitement inconnu en France : Claudia Michelsen (la mère), Maria Ehrich (Helga) et surtout Sonja Gerhardt (Monika). Petit bémol pour Emilia Schüle (Eva), dont la beauté ne semble pas franchement d'époque. Côté masculin, on saluera les figures de la jeunesse rebelle, qu'elles soient solaire et débridée (Freddy, le musicien, joué par Trystan Pütter) ou ténébreuse (Joakim, le fils de, joué par Sabin Tambrea), même si le jeune Wolfgang (le futur proc, soumis et secret, joué par August Wittgenstein) est touchant de sensibilité. La jeunesse est donc ici brillante, habitée, diverse, gagnée par son temps qui - on le comprendra par l'histoire - marquera profondément la culture populaire. Place aux jeunes !