La banlieue c'est pas rose, la banlieue c'est morose.
Quand on parle de banlieue, on fait la grimace. C'est que l'on considère toujours les banlieues abandonnées, jamais les banlieues aisées - qui ont toujours été les premières à se développer. Alors non, on ne refera pas l'image de la banlieue triste aujourd'hui, et ce, quelle que soit la ville du monde concernée. Des townships aux bidonvilles, des favelas aux HLM, les espaces où la ville installe ce qu'elle rejette existeront toujours, tant que la ville rejettera. Monde érigeant l'interlope en art et la réclamation - même vaine - en mode de vie, faute de mieux, la banlieue. Méprisée - un bel exemple chez Victor Hugo, "On est laid à Nanterre, c'est la faute à Voltaire, et bête à Palaiseau, c’est la faute à Rousseau." - la banlieue n'en est pas moins réhabilitée dans l'opinion par des projets d'urbanisme des fictions fortement inspirées, en termes d'ambiance, de photographie voire de scénario, de la réalité. Et qui nous prouvent que si la banlieue n'est pas rose, elle n'est pas pour autant morose, à qui porte un regard vivant et volontaire sur ce monde pourtant désespérant. #optimisme
Quand la vie t'offre la parole, fais-en un art.
Je laisserai Loïc Prigent décrypter le look et l'attitude de banlieue, je me contenterai du verbe, et de son accent typique, apanage d'une jeunesse qui réinventa le verlan, mâtina le louchebém, diversifia l'argot, et scanda sa prose en amplifiant les extrêmes (du très aigu au très grave), banalisant le parler carcéral et la gestuelle défensive. Le rap en devint le meilleur porte-étendard, et le plus efficace mode de popularisation, avec ses grands artistes et ses piètres artisans. Et comme tout ce qui est monétisé grand public, le rap n'hésita pas à créer des règles étroites et des stéréotypes, générant malgré lui son propre système d'exclusion, qui finit par se retourner contre le milieu-même où il naquit : la banlieue.
Comme ici, on aime ce qui nous prouve qu'on a tort de croire que tout est noir ou blanc (sans tomber dans cinquante nuances de gris), on prendra goût à chercher la petite bête qui dérange notre image de la banlieue. Dans la lignée de l'américain 8 mile (Curtis Hanson, 2002) ou du français Divines (Houda Benyamina, 2016), voici Patti Cake$, très bon premier long métrage de Geremy Jasper.
De quoi ça parle ? Patricia Dumbrowsky, 23 ans, vit dans le New Jersey (la lointaine banlieue de New York, un peu comme notre Val d'Oise), chez sa mère paumée (coiffeuse sur le retour, chanteuse sacrifiée, alcoolique notoire) avec sa grand-mère malade. Elle est barmaid dans le bar pas hype du coin, mais son kif, c'est le rap, qu'elle pratique avec son meilleur pote, Jehri, en vénérant la star du genre, OZ et son univers vert comme un dollar propre. Femme, blanche, en surpoids, Patti cumule les tares pour entrer dans le cercle du rap à succès... Mais elle a deux atouts : une verve fantastique et de l'envie à revendre.
Alors ? Côté scénario, pas de révolution : une envie, des embûches, des essais infructueux et une bonne étoile quelquepart : Patti Cake$ suit une narration classique de la quête de la gloire par un self made personnage, sur fond d'accomplissement, avec une once de romance. Le grand intérêt de ce film, c'est qu'il se débarrasse de la plupart des stéréotypes qui font les mauvais films : peu de violence physique, pas de baston à base d'armes à feu et de drogue, pas de "ouhlala mon passé trouble me rattrape", vulgarité restreinte au strict nécessaire, pas de misérabilisme, juste de la réalité comme contexte. Patti Cake$ n'est pas un film social sur la banlieue, mais une histoire individuelle sur les rêves que l'on nourrit. Patti n'est ainsi jamais présentée comme l'héroïne d'une lutte : elle est juste elle, naturelle, avec du tempérament et de la gnaque, et filmée comme telle. Quant au rap, si comme moi tu n'aimes pas te faire engueuler quand tu écoutes de la musique, sois rassuré : celui-là est malin, ciselé, et pas envahissant (la BO aligne d'autres perles classiques et électro aux côtés des textes de rap signés de l'auteur himself, Geremy Jasper).
Et la banlieue, alors ? Débarrassée de ses stéréotypes, je te dis. Ni miroir aux alouettes pour la grande ville (montrée au loin dans la brume), ni enfer d'où rien ne sortira jamais, le New Jersey est là simple décor, et ce sont les habitants plus que l'urbanisme qui font l'environnement. Et donc, pas de misérabilisme : les vies sont petites et stagnantes, mais riches en émotions. Et les âmes médiocres (les petits rappeurs étriqués, les grands rappeurs infatués,...) balayés par l'histoire. Et ça fait du bien.
La grande question : pourquoi a-t-on pensé, chez Diaphana, que le bon auteur mais piètre performeur Deen Burbigo ferait une chouette illustration lors de l'avant-première parisienne ?