Même toi.
Ces pulsions qui nous dévorent - l'envie de meurtre, le désir, la rage, l'hilarité, la terreur, la joie folle : folie, justement ? Ou ne serait-ce pas la trace d'un animal en nous ? Notre humanité se résume parfois à dominer notre animalité : à savoir dire stop à ces pulsions qui mettent toujours en danger la survie de l'individu, voire du groupe. Et pourtant, leur frustration perpétuelle n'est-elle pas que le fructueux ferment des débordements que l'on sait ? Les avis sont partagés autant que tranchés : tous semblent pourtant converger vers l'importance de rituels expiatoires (sport, jeux vidéos, arts, simulacres...), qu'ils encouragent ou épuisent l'animalité.
Cet animal-qui-sommeille-en-nous - vieille rengaine, vrai sujet - est au cœur du travail du chorégraphe britannique Akram Khan pour sa pièce Outwitting the devil ("Plus malin que le diable", 2019). Dans cette pièce forte pour 6 danseurs, il engage une bataille entre mémoire et cérémonies pour reconstituer une réalité et une connaissance qui ne cessent de se dissoudre dans le temps. Le tout - comme une épiphanie, dit-il - en mariant corps de danseurs au sommet de leurs capacités et danseurs mûrs, "riches en histoires". Il n'est jamais trop tard pour les épiphanies.
Au delà de cette révélation faite à Akram que tout le monde peut danser, mêmes les corps plus âgés, reconnaissons la beauté de ces images : dessinés dans ce clair obscur lumineux, les corps dorés comme jaunis par le temps mêlent bestialité (très à la mode sur les scènes chorégraphiques depuis quelques années, grâce à Akram Khan lui-même) et société, muscles bandés et regards échangés - émanations de l'intérieur vs conséquences de l'extérieur. Une sarabande de forces contraires qui donne le vertige si elle est bien menée, et Akram sait la mener.
Est-ce pour autant là la seule finalité ? Lectrcie, lecteur, sache-le : non. Car au delà de son épiphanie, l'on peut étendre le domaine du danseur à l'amateur. Cette bestialité n'est pas l'apanage du danseur : elle est en chacun de nous. Sa maîtrise n'est pas le pré carré des professionnels : vous pouvez aussi vous en emparer. Et ainsi, tous danser pour Akram Khan.
S'il s'agissait de briser l'image que l'on peut avoir de la danse contemporaine - curieuse, perchée, définitivement sauvage -, c'est manqué ! Cela dit... Le but n'est pas de rassurer le public sur ce qu'est la danse contemporaine, de la faire rentrer dans les définitions de la normalité, dans le cadre du connu, rassurant et duveteux : non. Il s'agit d'inviter le public à sortir des sentiers battus, de son confort quotidien, non pour une mise en danger, pour mettre mal à l'aise, pour ridiculiser, non. Pour accompagner chacun dans l'épanouissement de cette petite once de folie, ce petit goût ou cette folle passion qui sommeille pour le jeu, la création, la rage, le désir, la joie folle ou l'envie de meurtre. Pourquoi ne pas en faire de l'art, une création commune, pour dessiner une grande Arche de Noé qui serait aussi dangereuse qu'un safari, mais transformée par le geste dansé ?
#OurAnimalKingdom, un projet d'Akram Khan avec Numéridanse : envoyez vos vidéos jusqu'au 30 octobre 2020 ! Toutes les infos ici.