Ton cerveau est branché. Devant les infos, au bureau, en bagnole, dans le métro, quand tu lis, quand tu te douches, quand tu rêves, quand tu regardes un film, quand tu manges, quand tu discutes, quand tu éteins ton réveil, quand tu passes le balai et même quand tu t'envoies en l'air (sans rapport avec l'action précédente). En permanence, 24h/24, 7j/7, ta matière grise fonctionne, avale, digère, met en place, analyse, travaille, construit, inlassablement, sans arrêt, tout le temps, à chaque heure, à chaque minute, à chaque seconde, au point qu'il t'arrive même, parfois, de développer un second palier de réflexion qui te permet de prendre du recul, de continuer à penser comme un taré, à toute vitesse, tout en te disant "Dis donc, c'est incroyable ce que je carbure vite, en ce moment". Un truc de dingue, ça s'arrête jamais, t'en as même pas conscience. Comme si t'étais sous crystal-meth.
Et puis là, soudain, tout s'arrête. Tout ralentit. Tout se suspend. Tout se tait. Tout disparaît, ou presque. Le temps, l'environnement, les idées, les actions. C'est quoi ? Un nouveau pitch de Flash Forward ? Le bad trip lié au crystal ? Le réveil qui sonne ? Non, c'est l'entrée dans le champ cérébral de LA fille/DU garçon. Wow, un truc pareil ...
Cet état de grâce, cet entre-deux, ces petites absences, ces moments forts infiniments délicats où l'intellect se déconnecte pour laisser place à l'instant brut, c'est l'univers développé par Les Amours Imaginaires, le second film de Xavier Dolan.
Xavier est scénariste.
Francis et Marie sont les meilleurs amis du monde. Au cours d'une soirée, ils croisent Nicolas, l'ami de l'ami d'untel. Nicolas, jeune, blond, bouclé, suave, sensuel, viril, beau. Comme un dieu grec. Francis tombe amoureux. Marie tombe amoureuse. Triangle. Dans cette situation, l'un et l'autre essaient de s'attirer les faveurs de Nicolas. L'un et l'autre interprètent les signes de Nicolas qui pourraient aller dans leur sens. Une lettre, un sourire, un clin d'oeil, une invitation, un bisou, un jeu : tout est susceptible d'être un indice dans la course effrénée à laquelle Marie et Francis participent. La course à l'amour de Nicolas. Chacun s'imagine que le blondinet hésite entre eux deux, qu'il joue la carte de l'ambiguïté sexuelle. Chacun imagine, donc. Il imagine, parce que rien ne se concrétise vraiment. Des amours ... imaginaires. Bande-annonce.
Xavier est réalisateur.
Le film est éminemment esthétique. Et bourré de références. Ses détracteurs l'accuseront d'être un film de cinéphile, de fan, comme ils l'ont fait pour sa précédente pépite, J'ai tué ma mère, à coup de "c'est pompé sur Wong Kar Wai" et autres "ça ressemble à du Pollock". Ici, pareil. Les uns m'ont parlé d'Almodovar, d'autres de la Nouvelle Vague (Truffaut, Godard), d'autres encore de Visconti, Bertolucci, Araki ... c'est lui-même qui en parle, aussi. Xavier joue sur les mouvements de caméra, les lumières, les couleurs (le rouge brûlant, le bleu triste, le vert tendre, les ombres ...), et aligne les ralentis comme autant de perles de cet "entre-deux" magnifique, bien qu'un peu mélancolique parce que ces ralentis laissent en plan une situation douloureuse : l'amour à sens unique, affamé de satisfaction, en pleine quête d'un Graal qui, tel le supplice de Tantale, s'éloigne à chaque fois qu'on croit l'atteindre. Interview.
Xavier est acteur.
Niels Schneider donne son physique de minet lumineux à Nicolas. Il lui donne aussi son attitude désinvolte et séductrice, ses moues, son sourire sur lequel l'oeil s'attarde, son oeil malicieux et candide. Il lui donne aussi son atemporalité : il pourrait être de n'importe quelle époque. A l'inverse, Monia Chokri incarne une Marie datée, d'un romantisme un peu hors d'âge, où la femme de qualité se devait d'être courtisée. Chignons bananes, robes à la Courrèges, rangées de perle, oeil de biche, elle nous rappelle Anna Karina ou Anne Wiazemsky. Elle est définitivement ancrée dans les sixties les plus glamour. De son côté, Francis, en jean et baskets, en marinière ou en t-shirt, avec sa coupe eighties (de nouveau au goût du jour grâce aux djeuns fashion) et ses lunettes à la YSL grande époque, semble tout droit sorti des années 80. Tous deux détonnent dans un environnement basique, sans marqueur temporel. C'est aussi ça, la clé de l'alliance de ces trois personnages : il n'y a pas de dateur chronologique dans Les amours imaginaires. Pas d'iPod, pas de tube récent, pas de télé écran plat, pas de bagnole d'aujourd'hui. La seule musique que l'on retient est ce doux-amer Bang bang italien. Extrait.
Xavier est aussi crédité au montage, à la production et aux costumes. Et quand on lui demande, un peu naïvement, lors d'une avant-première, s'il est une control queen, il répond qu'il est un control freak : il aime tout regarder, tout vérifier, tout mener, tout créer, tout emporter. Et on va pas le contrarier, puisque ça marche : il est doué.
Xavier est foutrement doué.
Les Amours Imaginaires
un film de Xavier Dolan
avec Xavier Dolan, Monia Chokri, Niels Schneider, Anne Dorval
(2010 - 95 min)
En salles le 29 septembre.