Et maintenant, on va où ?
Ce matin, j'ai lu un tweet qui, sous couvert d'humour, montrait bien qu'on était assez mal barrés. Voilà ce que Guellaty nous dit : "Ca devient chaud en France : les banques sont interdits bancaire, les procureurs sont mis en examens, les médicaments tuent." J'ai appris, hier, grâce au Dessous des cartes (sur Arté) que la Chine serait vieille avant d'être riche, et que le Pakistan avait multiplié sa population par 4 et divisé son niveau de vie par 2. Ca s'ajoute à l'existence du Pacific Trash Vortex, à ce qui est enseigné dans les écoles d'Israël et de Palestine, au décret européen qui interdit aux Etats d'emprunter à leurs banques nationales, au fait que la culture était devenu la nouvelle cible de la spéculation financière, à ce que j'ai trouvé sur l'état actuel de l'Afrique, de notre tolérance, de notre sens du respect, de l'entraide et des priorités. En faire la liste serait bien illusoire, mais j'avoue que, quand on y pense, ça donne le vertige, ça épuise avant même de s'y mettre. Si on ne peut pas régler tous les problèmes, et si "charité bien ordonnée commence par soi-même", si on a encore l'envie, le besoin et la nécessité de nous indigner (comme disait l'autre, là), on devrait peut-être arrêter de chercher à régler les problèmes financiers et se concentrer sur des trucs plus fondamentaux, parce qu'ériger l'argent en maître du monde, c'est donner la possibilité à de mauvaises mains de prendre le pouvoir. Et parce qu'il y a de véritables questions de vie et de mort qui se jouent, un peu partout sur cette planète. La question, c'est : "là, tout de suite, on s'attèle à quoi ?". J'avoue, je n'en sais rien.
Et maintenant, on va où ?, c'est le titre choisi par Nadine Labaki pour son deuxième long métrage. Après nous avoir entraînés dans un hâvre de paix dans un Proche-Orient où la haine et la guerre grondent dans Caramel (2007), la réalisatrice nous éloigne de Beyrouth pour nous plonger dans un village isolé, cerné par les mines, dont le seul lien avec le reste du monde est un petit pont rocheux qui s'écroule dans le vide. Dans ce village cohabitent des chrétiens et des musulmans. Cohabitent, oui : l'imam et le prêtre s'entendent bien, le muezzin et le clocher rythment la journée, le croissant et la croix dominent ensemble les maisons et les poitrines... Ils cohabitent, mais ... on sent bien que les tensions sont là, tapies, dans les regards. Un rien pourrait réveiller une haine sommeillant sous l'apparente tolérance. Pour éviter les écueils, les femmes, chrétiennes et musulmanes, unies, utilisent tous les stratagèmes possibles. La radio parle d'affrontements religieux ? Elles changent de station. La télé du village montre des échauffourées ? Elles se mettent soudain en colère contre les hommes sur des détails, couvrant ainsi le son de la télé ... Il faut à tout prix éviter que les hommes se tombent dessus, mais ça n'empêche pas des petites chamailleries entre femmes. Ces femmes, elles sont incroyables. Extrait.
Les femmes du villages, elles en sont arrivées là parce qu'elles n'en peuvent plus de porter le deuil. Leurs pères, leurs frères, leurs maris, leurs fils, ils sont là, enterrés à la sortie du village, dans deux cimetières côte-à-côte. La moindre dispute peut motiver les hommes à sortir les armes. On a le sentiment, même, qu'ils cherchent un prétexte, quel qu'il soit, pour s'insulter, se bagarrer, s'entretuer. Le jour où, par mégarde, le crucifix de l'église est cassé ... c'est le début d'une réaction en chaîne qui va mener les hommes à vouloir la lutte armée, par contagion avec les événements du reste du pays. Les femmes vont devoir imaginer une machination incroyable, à base de stupéfiants, de strip-teaseuses ukrainiennes, dans le but de sauver leurs hommes, avec la bénédiction des chefs religieux du village. Bande-annonce.
Et parce que les hommes et les femmes n'en restent pas moins des êtres humains, Nadine Labaki a rajouté, dans son scénario, une romance prise dans les filets de cette guerre qui couve, celle d'Amal (que la réalisatrice interprète), chrétienne, et Rabih (joué par le très joli Julian Fahrat), musulman. Leur histoire à la Roméo et Juliette, elle est universelle,comme le reste du film. Parce que ce film joue sur tous les tableaux : la diatribe politique, la guerre des sexes, la questions religieuse (accusée mais obéie), la comédie musicale, le cinéma du réel, la critique familiale, la film choral, l'histoire d'amour ... Tout y passe, avec un équilibre incroyable puisque rien n'est choquant. L'humour est partout, ce même humour que Labaki disait "nécessaire à ceux qui ont connu la guerre". Et c'est vrai que la guerre, ce n'est pas que des hommes qui se battent au loin, c'est aussi la haine tout près de soi, dans sa propre maison parfois, voire dans son propre lit. Leur guerre religieuse, elle imbibe tout. Tout. A l'exemple des moments où Rabih et Amal essaient de se parler d'amour. Extrait.
Bref. Ce film, je ne saurais te le recommander assez, parce qu'il éveille tout un tas de sentiments chez le spectateur, que l'équilibre de ces sentiments est délicat et délectable, et qu'il fait réfléchir, après tout, sur le monde dans lequel on vit.