Chère Audrey Estrougo,
Je ne remets pas en doute tes qualités personnelles, ni même ta capacité à faire des films. Toutefois, après avoir vu ton Toi, moi, les autres, je me demande si, sur ce coup-là, tu ne t'es pas fourré un stylo dans l'oeil pendant l'écriture du scénario, ce qui aurait provoqué des lésions à ton bon sens pendant le tournage et le montage.
Je m'explique. Au début, je ne voulais aller le voir, ton film, parce que je savais que le combo Bekhti + Siksou ferait couiner du jeune couple en pagaille : j'aurais donc attendu que ton film soit en fin de vie pour aller le voir (aka qu'il soit diffusé à l'UGC Orient-Express), histoire d'être moins dérangé par les gloussements de mes voisins. C'était sans compter l'ex-team de Vodkaster, qui a toujours des idées brillantes de films ayant 64% de chances d'être ratés à aller voir. Du coup, je suis allé voir ton film hier soir, et ... hum.
Commençons par le scénario. Leila, une jeune étudiante en droit (Leila Bekhti), habite dans le Paris populaire, et porte sur ses épaules le poids d'une communauté qui compte sur elle. Son frangin manque de se faire écraser par Gabriel (Benjamin Siksou), fils du préfet de police venu des beaux quartiers, sur le point de se marier avec une fille de son milieu, Alex (Cécile Cassel). La rencontre Leila-Gabriel fera des étincelles ... sur fond d'expulsion. Audrey, on le voit venir à 451 kilomètres : elle va défendre les expulsables, lui est fils du type qui gère les expulsions ... Tadam. Bon, si tu étais dans un monde normal, ta fin serait un peu déchirée french-like, avec une musique un peu ronflante avec des violons et Leila Bekhti aurait des larmes habillant son sourire. Sauf que non : la question de l'immigration et de l'expulsion de sans-papiers est trashée, à la fin, à un point tel que ça en devient honteux. Sans spoiler, le ridicule affiché par ta scène de fin pousserait n'importe quel membre du GISTI à t'envoyer des lettres anonymes signées. Moi, j'étais en colère, quand je suis sorti de la salle. Et pourtant, la bande-annonce en disait long, déjà.
Venons-en maintenant au concept. Entre Demy et Resnais, entre Les demoiselles de Rochefort et On connaît la chanson, entre des chansons originales chantées par les acteurs avec des chorés chiadées et du playback de chansons pré-existantes. Toi, donc, tu fais chanter des chansons tirées du répertoire français 1950-2000 à tes acteurs non-professionnels, tout en dansant. Audacieux ? Dit comme ça, clairement : la comédie musicale, en France, est quasi en danger, et on est tellement peu doués pour ça qu'on évite autant que possible (et les biopics, ça compte pas). Tu en fais quoi, toi ? Tu les fais chanter des chansons certes populaires, mais qui ne passent plus que sur Nostalgie : un peu ringardes quand même (à l'exception de Tout le monde de Zazie). En tentant de faire du populaire, tu tapes dans le démago. C'est mignon, hein, mais d'une naïveté un peu étonnante. Ca ne donne aucun relief au film. Si, en plus, tu les fais tomber comme des cheveux sur la soupe (Un autre monde, de Téléphone, en prison ... really ? Et Quand on a que l'amour pour lutter contre une expulsion ? Really (bis) ?). J'en revenais pas, tant ces rapprochements sont malhabiles. Parlons danse, un peu : la chorégraphe, 20/20. Les jeux de couleurs, 20/20. La mise en scène : 20/20. Mais (parce qu'il y en a un) hé, ta façon de filmer les choré de breakdance est nullissime. On ne voit rien, on ne profite de rien, on entrevoit. A l'exemple du type qui danse le long des échafaudages : du pole dance acrobatique qu'on voit une demie seconde. Pfff. Je veux bien que l'exercice soit difficile, hein, mais j'ai vu des films d'étudiants de la FEMIS plus réussis, à ce sujet.
Terminons par l'interprétation. Leila Bekhti, bon choix : du Prophète à Tout ce qui brille, elle est une valeur aussi sûre que montante. Avec son physique à exciter les geeks de toute la twittosphère et son jeu, en général, enlevé et léger, elle aurait été extra dans un film bien mené. Autant dire que là, elle ne démérite pas. Sauf que dans une scène sur deux, elle minaude. Elle serait laide, la scène n'aurait pas été tournée comme ça, parce que ça n'aurait pas fonctionné. Et c'est nul. Benjamin Siksou, moins bon choix : j'ai eu l'impression d'avoir affaire à Max Boublil pendant 1h30. Je m'attendais à une remarque graveleuse tous les deux minutes, et au final, on n'a qu'un gentil garçon aussi paumé dans le grand monde auquel il devrait appartenir (le XVIè) que dans la belle famille du cinéma. Ce qui est sûr, c'est qu'on ne le verra pas dans les espoirs masculins aux Césars 2012. Cécile Cassel, enfin, en outsider, est très convaincante, mais son personnage n'a aucune épaisseur. Donc, ben ... Cécile non plus. Dommage ! Ahhhh tu vas me dire "Ouais, mais j'ai mis Chantal Lauby !". C'est facile : ni originale, ni passée de mode, Chantal Lauby est égale à elle-même, et a même droit aux meilleures répliques du film (ou presque). Allez, mention spéciale au cador du film : Emir Seghir (Agib, le frère de Leila), craquant-mignon-tout-plein. Fallait-il un gosse pour rendre le film touchant ?
Faisons le bilan. Ton film, là, il a de vraies qualités noyées sous une avalanche de défauts. Et ça pèse tellement lourd dans la balance que je ne peux le conseiller à personne, pas même à mon pire ennemi, parce que ça te ferait toujours des places en plus, et que je ne veux pas t'encourager dans cette voie. Ainsi, Audrey, tiens-t'en au ciné français gnangnan, c'est là où tu as le plus d'avenir, et arrête de pourrir la carrière de tout le monde. Ca justifie, d'ailleurs, que chaque membre de l'équipe nous souhaite une bonne projection : ils le souhaitent parce qu'ils savent, sûrement, que c'est pas gagné. Excellent téléfilm.