Boys will be boys.
Le mois des fiertés s'est terminé dans une moiteur propice à se vautrer dans le Mondial de Football, dans Wimbledon, ou dans le festival d'Avignon. "ou" ? Pourquoi pas "et" ? Tu te dis que dans cette phrase, beaucoup d'incohérences sont réunies. Les homos et le foot ? Le foot et le théâtre ? Dure réalité que cette pensée par cases, par schémas, par totems. C'est précisément celle qui mène aux extrémismes : la pensée fermée, les stéréotypes, l'égocentrisme. L'intérêt de la complexité du cerveau, c'est la gestion d'une pensée complexe, n'en déplaise à Emmanuel Macron, qui pense que ce n'est réservé qu'aux élites.
Prenons des exemples de stéréotypes : les femmes n'aiment pas le football. Elles jouent le petit jeu du "Ouhlala, au secours, il y a du foot, bouuuuh !" parce qu'elles croient qu'être une vraie femme passe par la fuite de ce sport. Faux : il n'y a pas de vraie femme, une femme peut aimer le football, la compétition, et les joueurs pour autre chose que leur physique. Autant que toi, petit footeux. Ce qu'elles n'aiment pas, souvent, c'est ce que le football fait de toi : un machin surexcité, un peu vulgaire et bourré de bière, qui se croit supérieur - à elle, notamment. Tu vois, tout n'est pas blanc ou noir : tout est nuance. Fais dans la nuance, le monde t'aidera.
Aussi, quand tu considères que les homos n'aiment pas le foot, nous sommes face à plusieurs stéréotypes mêlés. Certains homosexuels pensent, comme toi, qu'ils doivent ressembler aux femmes, et qu'une femme, ça fuit le sport. Non : tu peux être homo et adorer le football. C'est tout le poids de cette pensée simpliste : elle s'applique à tous et à toutes, parfois jusqu'à l'absurde. Et parmi tous ces types que tu as vus à la télé, sur les Champs et partout ailleurs, il y avait des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux, des sexualités, des couleurs de peau, des religions, des salaires, des modes de vie, des choix de vie, des dénis et des destins. Et toi, tu n'as vu que des supporters. C'est bien que le reste t'ait indifféré. C'est dommage que tu penses qu'ils étaient tous comme toi. Parce que non.
D'ailleurs, que sais-tu de l'homosexualité ? Le cinéma - art béni ! - te fais deux propositions aux antipodes parfaitement complémentaires pour le comprendre : Un couteau dans le cœur, de Yann Gonzalez, et Love, Simon, de Greg Berlanti. A voir à la suite, dans l'ordre que tu veux.
UN COUTEAU DANS LE CŒUR - la partie immergée de l'iceberg
Dans un club, ce garçon danse. La pénombre, la lumière, les regards qu'il échange avec ce type masqué... Fantasmes de dominations, inquiétude et désir mêlés, il le suit, se laisse attacher au lit, offert, l'autre brandit un gode... armé d'une lame, et le trucide. Un meurtre écœurant, pourtant sublime, dans son esthétique hommage au porno des années 70, dark pop, de papier glacé. Nous voilà plongés dans un thriller d'horreur qui tourne autour d'Anne Parèze, productrice de films X gay, de ses névroses, de ses fantômes, à la recherche de l'amour et/ou d'un tueur masqué, qui n'est pas sans évoquer une quête orgasmique : elle n'a rien, elle tente tout, jusqu'à recourir à la mort.
Un couteau dans le cœur est une œuvre visuelle, un manifeste cinéma où l'image véhicule sens et esthétisme, volontairement loin du réalisme d'aujourd'hui, sans jamais devenir abstrait. On pourrait lui reprocher les fautes scénaristiques - nombreuses - pour rabaisser le délire visuel, mais on se laisse happer par la froideur des couleurs, la mise à distance du sujet, les fantômes du passé qui agissent sur les parties les plus visibles de la maîtrise d'aujourd'hui, et ce quelque chose de toujours suggéré, de jamais explicite, sur le sexe, le fantasme, l'image de soi et le besoin d'être aimé. Et la pression faite sur des sexualités par des esprits étroits autoproclamés gardiens des bonnes mœurs - patriarcat, police, traditions.
Un couteau dans le cœur, c'est la psychanalyse du milieu gay - que le cliché veut esclave du sexe, avec un besoin d'être dominé, féminin, lascif, maltraité. Mais c'est aussi celle du milieu lesbien - ces femmes en mal de virilité, de pouvoir, d'avilissement des hommes, impossibles à satisfaire, même sexuellement. Ces images d'Epinal te sont servies avec leurs erreurs logiques et leur volontairement mauvaises interprétations pour que tu en saisisses la faiblesse : c'est comme si tu réduisais des femmes et des hommes à leur sexualité, comme s'ils vivaient dans l'industrie du porno et méritaient le sort que les bonnes mœurs leur réservent - violence, autodestruction, autoparodie, jusqu'à l'absurde.
Un couteau dans le cœur, c'est ce que tu crois, et que tu imposes, involontairement.
LOVE, SIMON - la partie émergée de l'iceberg
Simon a 17 ans, est au lycée, a une famille unie, aimante, compréhensive, des amis trop cools, des cours, des projets, une routine... Bref, Simon a une vie normale - quoique, si on y réfléchit bien, un peu au dessus de la normale, en termes de moyens. Il sait qu'il est gay, mais jusque là, il n'a jamais senti le besoin de le dire. Un jour, sur l'intranet du lycée, un anonyme glisse un message, où il avoue son homosexualité sans avouer son identité. Simon, entre panique et curiosité, lui répond anonymement en privé. Un jour, leurs réponses sont publiées au grand jour par un camarade en colère ; Simon est démasqué. Drame ? Pas celui de l'outing, finalement : celui de deux adolescents qui doivent faire leur apprentissage d'un désir qui pourrait leur coûter amitiés et affections, croient-ils.
Love, Simon, c'est l'amour lissé. Un film militant en ce qu'il considère que l'homosexualité n'est pas un problème, en ce qu'on y réprime à la racine et avec vigueur tout élan d'homophobie, qu'on y consacre l'art de la punchline, la pureté du sentiment amoureux et la magie d'internet. En cela - et aussi parce qu'il est catalogué "film d'adolescents", comme si le message de tolérance et de bienveillance leur était exclusivement destiné - il porte une noble cause, qui rendra, espérons-le, toute Marche des Fiertés inutile dans 30 ans. En attendant, elle a encore du boulot.
Love, Simon, c'est aussi l'invisibilisation de ce que la société ne veut pas voir, par pudibonderie : la sexualité. L'adolescence est une violence hormonale, un pic de désir si fort que les corps jeunes - tous-puissants, innocents, amoraux - se mettent à tressaillir à la vue d'un corps désirable. Dans Love, Simon, hormis un fantasme d'à peine une minute sur un jardinier, le sexe est absolument absent. Débile ? Oui, évidemment... et non. Le film se fait porte-parole des hérauts de la banalisation de l'homosexualité : peu importe ce qui se passe dans la chambre à coucher, n'y pensons pas, travaillons à laisser librement s'exprimer la tendresse homosexuelle dans l'espace public. Se tenir par la main, dans ses bras, s'embrasser, sans que ça ne gêne plus que pour des couples hétéro. Il est, quelque part, une expression de l'égalité politique.
Love, Simon, c'est qu'il te faut comprendre, parce que le reste ne te regarde pas, au fond.
Deux revers d'une même pièce ?
Au fond, le problème que semble soulever l'homosexualité chez certain.e.s questionne les représentations du sexe, réduit à un petit jeu de pénétré/pénétrant, dominé/dominant, des rôles qui vont avec, donc d'une construction des genres.
D'un côté, Un couteau dans le cœur exp(l)ose ta vision d'une sexualité névrotique en adultes consentants, te renvoie à tes désirs, tes interdits, tes et t'explique que la répression n'entraîne que la violence. De l'autre, Love, Simon t'explique que, que tu sois pudibond, psychorigide ou sexologue, l'amour n'a pas de sexe - au sens propre et, dans ce film, au figuré.
C'est ainsi : la communauté LGBT - puisque tu aimes les catégories - est au fond comme tout le monde, tiraillée entre ses anges tutélaires, ses démons intérieurs et les représentations que l'on lui colle, alors même que la réalité est multiple, changeante, irrésolue.