Boulez, nid d'espions
Rien de mieux pour populariser un haut lieu de la Culture un poil taxé d'élitisme que de s'offrir à une fiction sur une grande chaîne. C'est France Télévisions - qui fait aussi le choix de l'exigence dans ses productions - qui a mis la main sur le projet, avec Merlin Prod (à qui l'on doit Clem, On va s'aimer un peu, beaucoup,... - une filiale Lagardère). Modelée par Marine Gacem et Clara Bourreau (Sam, Les bracelets rouges,...), réalisée par le talentueux Québécois Louis Choquette (à qui l'on doit la première saison de Mafiosa, par exemple), Philharmonia nous fait entrer dans la prestigieuse institution de la porte de Pantin, à Paris, pour d'étranges phénomènes impliquant l'orchestre, sa nouvelle cheffe, leur directeur, les mécènes, l'hérédité, la généalogie et tout un panel d'émotions humaines à même de rendre tout ça palpitant.
Synopsis Le chef de l'orchestre de la Philharmonie - le Philharmonia - vient de succomber à une crise cardiaque en plein concert - how dramatic ! Allant contre l'avis de Léopolod Saint-Just (directeur de la Philharmonie) et de l'orchestre, l'Etat impose une jeune cheffe importée des Etats-Unis, Hélène Barizet. Coup de maître pour secouer un orchestre au comportement de petits fonctionnaires ou coup dans le dos pour le fragiliser à l'heure où l'Etat cherche à supprimer un de ses orchestres parisiens ? Barizet a un an pour transformer l'essai. L'orchestre, revêche, ne lui fait pas de cadeau - si Vladimir, le premier violon (sorte de sous-chef de l'orchestre), obéit, Yvan, percussionniste et leader syndical, veut la faire partir. De petites trahisons en coups de bluff, le rapport de force s'installe. Vladimir est viré au profit de Séléna, gamine qu'Hélène entend dégrossir à sa manière, Jeff, hautboïste effronté, est retrouvé mort,... je m'arrête là, pour éviter le divulgâchis. Une histoire de pouvoir, d'affranchissement, d'histoires personnelles, professionnelles et publiques mêlées qui flirtent de plus en plus avec le polar à mesure que l'inquiétude d'Hélène augmente, dans l'immense Philharmonie pleine de recoins sombres et de la campagne parisienne où personne ne vous entend crier...
Et c'est bien ? Plutôt. Si l'histoire plongeant dans le polar peut faire lever les sourcils du téléspectateur en quête de véracité, les doutes que le scénario lui mettent en tête le font tenir d'un épisode à l'autre. Le rythme est posé, mais sans temps mort, et l'on a encore envie de plus, à l'issue des 6 épisodes. Le propos baigne évidemment dans de la grande musique qui ne s'empêche pas d'être populaire, autant que pointue - de la Pastorale de Beethoven à Boys don't cry des Cure. La musique n'est pas là que pour enrober : elle est le lieu où les choses se révèlent, où les émotions prennent corps, à l'instar de la cheffe qui semble épuisée après n'avoir dirigé qu'un morceau de 5 minutes, secouée par les spasmes de la jouissance sensorielle. C'est d'ailleurs une partie du mystère, cette cheffe dont l'oreille plus qu'absolue rend l'exécution musicale délicate parce que révélatrice, cette cheffe qui sait déceler dans une interprétation la colère, le mensonge, la duperie, le danger... (parce qu'on est dans un polar, rappelez-vous).
Rajoutez un caractère affranchi, une personnalité décalée, un peu... absente... et une hérédité compliquée, entre excellence et maladie, qui fait douter de soi, jusque de sa santé mentale, et vous obtenez le personnage principal idéal pour vous demander si on ne vous cache pas quelque chose. Trop tard, vous voilà pris.e.
Vraiment bien ? Bien entendu, vous serez un peu chagriné.e par les facilités du scénario qui le tirent dans l'entertainment, particulièrement si vous êtes vous-même musicien.ne classique : répétitions improbables, meurtres, malédictions et fanatisme, personnalités très clivantes, tout ça est peut-être un peu trop. C'est sans doute ce qui empêche de crier au génie, et un mal qui guette bien des fictions. Si France Musique l'encense (parce que production publique dans le milieu de la musique, avaient-ils vraiment le choix ?), Le Temps parle d'un propos disloqué, que l'on plussoie un peu ici.
Pour autant, en retirant une partie des sources de tensions scénaristiques qui encombrent un peu l'esprit général de la série - et l'épisode 6 en retire en effet deux -, les auteures donnent une belle chance à Philharmonia d'avoir une saison 2 vraiment intéressante. S'il y en a une.
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6 bonnes raisons de regarder Philharmonia (bonus) - France 2 - 17-01-2019
Revoir la vidéo 6 bonnes raisons de regarder Philharmonia (bonus) sur France 2, moment fort de l'émission du 17-01-2019 sur france.tv