Trauma.
S'il est une certitude, c'est l'omniprésence de la violence. Nul écho de l'ensauvagement de la société des discours politiques, mais un sentiment diffus que tout va trop vite, que l'on reçoit à peine le premier coup, il faut déjà encaisser le suivant, sans avoir ni pris le temps de comprendre le premier, ni d'en réparer les effets, ni même d'anticiper les suivants. Ainsi, de la violence réelle - la plus rare, par chez nous - à la violence symbolique - omniprésente grâce aux médias dont on ne se repaît que trop - nous baignons dans un environnement qui pousse au combat sans laisser le temps de réfléchir. C'est la définition de l'abrutissement : nous nous rendons brut(e)s.
De cette violence partout présente, certains font des chansons, d'autres expient par le corps. C'est le cas de Youness Aboulakoul, qui sans jamais la montrer, en montre les traces, l'impact sur le corps, une fois qu'elle a eu lieu. Son solo s'appelle Today is a beautiful day.
Youness Aboulakoul, vous devriez le connaître par ses passages chez Radhouane El Meddeb (Au temps où les Arabes dansaient, 2014, une merveille) ou entre les mains d'Alexandre Roccoli (HADRA, 2019, à voir absolument). Avec son comparse Youness Atbane, ils avaient pondu un duo, Les Architectes (2018) dans lequel ils avaient démontré leur passion pour l'objet, sa manipulation à vue, tentant de leur insuffler la poésie qu'ils leur destinaient.
Dans Today is a beautiful day, l'objet nous plonge dans le futurisme - comprendre qu'il est graphique, dans l'épure, fait de métal brillant sortant des ténèbres. Aboulakoul cisèle son apparition : dans le noir percé d'un rai de lumière, dans l'air grondant, une figure casquée de métal se détache... Astronaute dans la maison de demain ? Règlement de compte dans un Star Wars ? Ou jeu poussé au chef d'œuvre avec les saladiers et les cordes à sauter d'un confiné inspiré ? Chacun pose ses images sur ses déplacements lents et précis, comme une cérémonie, déplaçant les objets comme un expérimentateur fou mais scrupuleux. Où va-t-il, ainsi ? Chercher une réponse à cette question vous poussera à l'ennui. Ce qu'Aboulakoul veut vous montrer, c'est le dérèglement. La chute, la poussière, l'erreur, le tremblement, la transe. Nulle danse avant vingt minutes, puis le hip hop dans sa mise en scène contemporaine s'exprime, rappelant la mécanisation de nos comportements. Alors que nous nous habituions à son manège, advient le changement de son, d'ambiance lumineuse, de discours gestuel. La danse devient acte de libération des contraintes, puis d'une libération d'une énergie contenue, comme un acte de vérité. Alors que What a wonderful world résonne, déstructuré, on se plaît à croire qu'Aboulakoul trouve peu à peu ses outils pour vivre heureux dans ce monde de brutes. Parce qu'il s'agit de bien que de lui, pas de nous.
Photo © Romain Etienne / item