L'histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Mais qui sont les vainqueurs de la Révolution Française ? La bourgeoisie, dit-on. C'est donc pour rendre au petit peuple et à l'aristocratie son droit de parole qu'Aurélien Molas embarque sa camarade Gaia Guasti dans l'écriture d'une fiction fantastique à la sauce américaine : La Révolution, pour Netflix. Sieur Molas a déjà écrit des séries pour arté et 13e Rue, dame Guasti vient plutôt du cinéma - en résumé, ils ont de l'ambition, du succès, et un peu d'expérience. Allons donc.
Si les causes de la vraie Révolution Française sont connues - et multiples -, celles de La Révolution sont incroyables, insensées, expliquant qu'on les ait tenues secrètes : Louis XVI aurait répandu dans les rangs de l'aristocratie un virus dangereux qui rend le sang bleu et donne une faim de sang frais... et de grosses crises d'agressivité. Si le peuple accepte sa soumission à la noblesse, il n'acceptera pas d'être la victime d'une violence aveugle...
La bonne idée.
Mêler à la grande histoire un peu de surnaturel, de manipulation médicale à grande échelle et de zombies : on valide immédiatement, sur le papier. Le complot des puissants au détriment des masses, étouffé par la victoire de l'idéal public qui s'impose en réaction : le triomphe en marche de la boue au cœur pur sur la soie au cœur souillé dans les sillons ensanglantés de notre roman national, nous y sommes, en plein, et à plusieurs titres, l'idée originale d'Aurélien Molas séduit.
Résumons. Printemps 1789. Une jeune paysanne est retrouvée déchiquetée dans les bois de Montargis. L'empressement avec lequel le duc demande son enterrement pousse Joseph Guillotin (oui oui), jeune médecin viré de la faculté pour expériences extravagantes, à autopsier rapidement le cadavre. Il découvre des traces d'un liquide bleu qu'il décide d'analyser : un virus (oui oui) qui teinte le sang en bleu (*clin dœil*), décuple la force, rend agressif et... immortel. Voilà pour le mal dangereux. En parallèle, on entend parler d'un petit groupe de révoltés marginaux prônant l'égalité de tous par la violence contre les puissants : la Fraternité, emmenée par Marianne (oui oui). Tiens tiens : la jeune paysanne portait leur signe distinctif - un énorme cercle bleu tatoué sur le bras. Discret. Le frère du duc, en charge de la sécurité, accuse la Fraternité, et enferme un suspect - un chamane noir qui passait par là. Pendant ce temps, au château, Elise de Montargis, la fille du duc, cherche à contenir son oncle et son cousin, qui œuvrent en douce pour prendre la place du duc. Pour des raisons divergentes, Joseph, Marianne et Elise vont se retrouver pris dans les filets les uns des autres - la Médecine, la Révolution et la Famille - et plus ou moins s'unir pour rester vivants.
Les bons points.
La photographie soignée (signée Mathieu Plainfossé, Martial Schmeltz et Antoine Sanier). Pour ne pas dire superbe. Travaillant la pénombre inévitable aux sujets de science-fiction ( comprendre "il fait toujours sombre, même en plein jour"), abusant parfois des fumigènes, la réalisation s'inscrit dans la lignée des grands films d'époque, nébuleux et morbides. Ici, on est entre Marie-Antoinette et Game of Thrones : robes à balconnets qui s'agitent dans la blancheur des et sang qui gicle dans la noirceur des heures en faisant "spouitch".
Dans ce domaine, acclamons l'intelligence des décors qui parviennent à se faire oublier - et dieu sait que l'on est difficiles avec les sujets historiques. Gwendal Bescond reconstitue bibliothèques, tavernes et châteaux avec finesse, félicitons-nous d'avoir si bien conservé le patrimoine francilien. Mention spéciale pour la beauté des costumes : Charlotte Bétaillole donne grand place à l'originalité basée sur le réalisme historique, sans s'empêcher de toucher au kitsch (Donatien de Montargis) ou de flirter avec le steampunk (Marianne). Extra.
Dernier bon point : la musique, signée Saycet. Outre l'ambiance ténébreuse, cinématographique, des battements de l'air qui ponctuent toutes les scènes où rôde le danger, dans un son électro délicat qu'on écouterait volontiers toute la journée, il s'empare aussi de quelques tubes classiques qu'il revisite et démonte, de Lully à Beethoven (oui oui), en passant par Haendel. Subtil, malin - et très à la mode. Suffisamment pour qu'on pardonne les soulignages un peu grossiers de l'émotion ici et là.
La mauvaise idée.
Pour gâcher leur série, Molas et Guasti n'ont pas hésité à mal écrire la progression de l'intrigue - qui croule littéralement sous les questions non-résolues et sur les aberrations logiques et nous fait, de fait, souligner les erreurs historiques que l'on était prêts à admettre par sympathie. La stratégie de Louis XVI, la succession ducale, les motivations d'Ophélie, ou plus simplement les décisions exaspérantes de bêtise de Joseph, Albert et Elise, aident à rendre les personnages détestables. Trahi par Katell, Joseph se rallie à elle aveuglément ? Ben voyons.
Mais non seulement les auteurs ont-ils tranché dans la logique, ils ont aussi choisi une langue pauvre, et identique pour tous les personnages - alors que l'on va de la paysanne mal dégrossie à la duchesse raffinée, en passant par le médecin lettré. Il ne s'agit pas de réclamer des accents incrompréhensibles, mais au moins quelques enluminures verbales chez l'aristocratie, un petit ton docte chez la bourgeoisie et le clergé, des préoccupations d'illettrés chez le petit peuple. Le tout rendrait le propos sur la lutte sociale et politique bien plus percutant. Mais on l'a compris, on est ici dans un délire sci-fi/horreur/zombies/historique, il y a beaucoup à mettre dans la bouche des personnages... aussi fallait-il s'en donner les moyens.
Et si des discours actuels (lutte des classes, féminisme, hygiénisme...) viennent appauvrir la crédibilité, c'est bien le peu de grandiloquence de ces êtres pris entre les rouages de l'Histoire et ceux de leurs tragédies personnelles qui frappent le plus. Banalités, déjà-vu, manque total d'envergure - jusqu'au texte du Méchant (Donatien de Montargis) pourtant drôlement bien interprété par Julien Frison (que les fans d'histoires de voisinage sur M6 connaissent bien).
Bien, pas bien ?
Pas bien. Vraiment, tout est gâché.