Depuis Rome (de Bruno Heller, HBO, 2005-07), nous avons repris goût à la castagne à l'antique, quand on s'entretuait sans technologie, à l'arme blanche dans les sous-bois, pour obtenir le pouvoir : si le cinéma préférait les Grecs, les séries s'emparèrent de l'Antiquité romaine avec éclat et talent, la porte s'ouvrant alors à Spartacus (2010-13) ou Britannia (2018-), amenant aussi à aborder le Moyen-Âge (Game of Thrones, Vikings). C'est dans ce contexte que les Allemands Andreas Heckmann, Arne Nolting et Jan Martin Scharf se sont lancés dans Barbaren, une série dessinée pour l'Allemagne, mais goûtée par tous.
Parmi les mythes fondateurs allemands se trouve l'histoire d'Arminius/Hermann, un prince germain devenu officier romain qui se retourne contre son chef Varus lors de la bataille de Teutobourg (en 9 ap. J.-C.), permettant aux tribus coalisées de stopper la conquête romaine en Germanie. De petits peuples rivaux capables de s'unir pour mener un grand destin commun, il n'en fallut pas plus aux Allemands du XIXe siècle - eux-mêmes fraîchement unis en 1871, l'Histoire se répète - pour en faire un héros national. La bataille d'Hermann (Hermannsschlacht, côté germain) ou le désastre de Varus (clades Variana, côté romain) ne pouvait que faire un excellent sujet de série historique.
Si, comme dans toute série historique, le scénario a pris quelques libertés avec la vérité historique telle qu'elle est connue aujourd'hui, le propos est simple : un pacte lie le tout jeune empire romain et les tribus barbares* ; mais la violence aveugle du premier pousse les secondes à riposter. Sauf que dans les rangs du puissant aigle romain se cache un loup germain...
*Rappel : "barbare" ne signifie pas "sauvage" mais "extérieur au peuple romain".
L'intelligence de Barbares, ce n'est pas seulement de révéler les dessous d'une trahison, mais d'asseoir la qualité de la narration sur des concepts plus profonds, et de jouer la carte de l'inversion des valeurs : ici, ce n'est pas la grande civilisation romaine qui entre en scène avec ses bienfaits pacifistes sur le thème si vis pacem para bellum, non : le grand Empire vient avec sa violence et sa parole rompue briser la paix relative de petits peuples. Tout est en vérité plus nuancé : le moindre mot de travers entre membres de tribus différentes entraîne entre un et dix morts - alors la paix des petits peuples, on repassera. Nullement idéalisés, ces tribus germaniques révèlent au contraire toute la finesse de leur fonctionnement : leur pieux rapport à la nature, leur respect de la vie humaine, leur recours facile à la violence et un patriarcat solidement ancré. Ils parlent naturellement un allemand moderne qui n'est pas, pour des oreilles françaises, une liberté désagréable : cela rend leur approche plus crédible, évidemment, que l'anglais (qui était le cas de Rome). Double plaisir : les Romains, eux, parlent latin. Crédibilité renforcée. Ces Romains ne sont pas dépeints en seuls monstres - il faut bien corser la difficulté pour Arminius, pris en étau : s'ils abusent, leur valorisation du courage, de l'ordre et de la grandeur par le collectif dépassant les différences ethniques, est montrée comme une force, un positif. Mais contrairement aux Germains, rien de sensible n'est montré chez les Romains : pas de familles, pas de maisons, pas de religion, pas de tendresse. Alors forcément, les pièces de cette lutte pas très manichéenne mais un peu tout de même se mettent facilement en place.
De la nécessaire noirceur de l'image, liée au fait que c'est une série sur la violence des âges reculés, émerge une élégante esthétique de la barbarie, basée sur les corps - sveltes, jeunes, puissants, rapides, aux postures guerrières et symboliques étudiées - des corps pour une fois peu érotisés, et sur les situations - toutes basées sur le conflit, verbal, physique ou philosophique - qui fait du choix un acte souverain, et de la mort un sale outil pour parvenir à ses fins.
On retiendra le trio d'acteurs Laurence Rupp (Arminius, le prince chérusque devenu officier romain) - Jeanne Goursaud (Thusnelda, jeune Chérusque au cœur pur et à la rancune tenace) - David Schütter (Folkwin, jeune Chérusque rebelle et rusé), qui tient le nœud de l'histoire dans ses mains, accompagnés de figures politiques autant que paternelles : Gaetano Aronica (Varus, le gouverneur violent), Nicki van Tempelhoff (Segimer, le chef chérusque qui tient à l'honneur de son clan), Bernhard Schütz (Segeste, le Chérusque qui voudrait être Romain). Beaucoup d'hommes, oui, mais que voulez-vous : c'est l'Antiquité, on ne sait rien des femmes dans les situations de guerre. Ils tiennent la route, chacun dans son personnage, sans surjeu, grâce à la qualité d'écriture des personnages.
Barbares est une série palpitante, au rythme soutenu, qui évite les clichés des réalisations américaines qui survalorisent les héros francs-tireurs et soulignent lourdement les moments d'émotion, de danger ou de gloire. Un must see pour toustes celleux qui aiment quand l'Histoire prend vie (mais qui savent faire la différence entre vérité et fiction).
> Barbares, sur Netflix, depuis le 23 octobre 2020.