Nul besoin de les présenter : depuis près de dix ans, leur renommée grandit, ils sont de tout bon festival, le public adhère, toujours plus nombreux. S'ils n'alignent pas les tubes populaires, ils traînent tout de même sur les chaînes à grande écoute, dans ces émissions qui définissent la hype auprès du public, qui zone devant la télé à mater les clips.
Feu! Chatterton, cinq blancs-becs nés à la fin des années 80, poussés à Paris, passés - pour la plupart - par Louis-le-Grand et les grandes écoles (HEC, Sciences-Po, Normale Sup', ESCP...) avant de revenir à la musique, pour la beauté de l'art, et sans s'affranchir du cursus galère pour se faire connaître : premiers titres, démarchage de maison de disque, premiers petits concerts, premières parties...
Leur recette goûte comme personne : dans le sillage de la chanson française un poil destroy - à l'instar des Bashung, Gainsbourg, Ringer, Biolay, Malzieu, et leurs façons de chanter immédiatement reconnaissables, sur des textes ciselés - ils s'installent avec un univers musical qui fait chic, mais qui ne s'épargne ni le trash, ni le douloureux, et qui évite surtout le simplisme. En deux albums (Ici le jour (a tout enseveli)(2015) et L'oiseleur (2018)), ils nous ont collés au plafond, et des titres comme Fou à lier ou L'oiseau sont maintenant dans la bande-son de nos existences en mal de poésie.
Joie : ce 12 mars 2021, alors qu'on nous reconfine, qu'on est en manque de concerts, de verres au bar et de danse en groupe - en manque de gens et de plaisir, soyons clairs - le groupe sort un nouvel album : Palais d'argile. 14 titres pour venir (re)peupler nos imaginaires, nos colères et nos corps roidis par l'hiver.
La voix balancée d'Arthur Teboul - sacré atout ! -, ses textes racés et actuels, les musiques complexes, croisant les lignes instrumentales comme un orchestre, le rock profond et tranquille qui flirte avec l'électro et le folk, tout y est de nouveau réuni pour 70 minutes d'une promenade en terres musicales intenses.
Parmi les joyaux de l'album, Cristaux liquides et sa rupture rythmique qui décoiffe, Ecran total et son électro sombre et fiévreuse, la balade langoureuse Panthère, la fausse exaltation de Monde nouveau, la poésie folle de L'homme qui vient, et surtout, surtout, Libre, bijou de 9'35, qui invoque autant Pink Floyd qu'Apollinaire, lézardant comme les élucubrations d'un poète bourré dans la nuit, avec son pont instru de plus de deux minutes.
Bientôt tout en moi cessera d'émettre...
C'est drôle, les collines s'aplanissent,
Je n'ai pas fait mes valises...
Observe le ciel, sa malice.
Déjà je me sens là-bas, déjà je me sens loin,
Déjà je me sens ailleurs, maintenant j'y retourne.
Bref, avec cet album, les cinq gus de Feu ! Chatterton nous dessinent un chouette monde actuel aux beaux reflets du monde d'hier, pour envisager un improbable monde nouveau.
Et ça, un monde nouveau, on en rêvait tous.