Faut absolument que je te parle d'El secreto de sus ojos. En VF dans ton ciné du coin, c'est Dans ses yeux.
Pourquoi ? Parce que c'est un film ... total.
Ouais, carrément.
De là, deux possibilités : soit tu fais preuve d'un minimum de curiosité pour l'ART cinématographique, soit tu t'en tiens à tes traditionnels blockbusters américains (et deux trois comédies romantiques françaises, histoire de). Si tu es dans le premier cas, cet article va t'intéresser. Si tu es dans le second ... continue à lire, y'a pas de cas désespérés !
El secreto de sus ojos, d'abord, c'est un scénario. Buenos Aires, 2010. Benjamin Esposito (Ricardo Darin), retraité de la Justice, veut écrire. Mais pas sur n'importe quoi : sur l'affaire Morales. En 1974, la jeune Liliana Coloto, fraîchement Morales, est retrouvée dans sa chambre, battue, violée, baignant dans son sang. Un meurtre douloureux, sale, et vraiment pas cool, parce qu'elle était belle, Liliana. L'occasion de revivre l'enquête en 1974 et les linéaments de 2010 s'y rattachant encore.
Là, tu te dis : c'est un polar. Pas du tout : c'est une histoire d'amours. L'amour puissant, touchant, indescriptible, de Morales pour sa défunte Lili. L'amour brutal, sourd, aliénant, de Gomez pour la même Liliana. L'amour usé, décrépi, disapru du couple Sandoval. L'amour caché, timide, intense d'Esposito et Hastings.
Sandoval (Guillermo Francella), c'était le collègue et ami d'Esposito. Un alcoolique notoire aux intuitions brillantes. Eux deux, ils mènent l'enquête par leurs propres moyens, même une fois l'affaire classée par la juge Hastings (Soledad Villamil). Pourtant, il y avait cette piste, lue sur des photos, où Gomez (Javier Godino) regardait toujours Liliana (Carla Quevedo). Mais c'est un autre homme (Pablo Rago) qu'elle a épousé, et ça, Gomez le vit mal. Quand ce dernier se sent traqué, il se cache, s'enfuit. C'est par ses références constantes à des joueurs de foot qu'on le retrouve (avec un travelling de fou). Et il avoue. Jugé, emprisonné, il est libéré pour bonne conduite et pour servir d'indic. Une justice immorale, corrompue, travaillant au résultat sans hésiter à mettre des psychopathes dans la nature. L'atmosphère est rempli d'injustice, de trahison, de mise en danger. Morales ne tient plus en place, et ... La fin, je la tais, elle est d'une beauté !
La réalisation est étonnante de poésie. Les images sont brutes, à la fois légères et traînant en longueur pour souligner un détail, un instant, une attitude. Juan José Campanella signe ici une adaptation magistrale du roman d'Eduardo Sacheri en y apposant des images percutantes, vibrantes. L'émotion est palpable, l'histoire est prenante, on ressort de ce film avec les tripes nouées et les yeux humides. Et pourtant, la musique a tendance à abuser des violons. N'empêche ! Noir et blanc, brouillard, flous, montage aux rythmes variés ... Campanella tape juste. Et fort. On comprend l'académie des Oscars qui lui a refilé le prix du meilleur film étranger. Ah si !
Côté interprètes, c'est vraiment banco. Darin en employé un peu gras mais à l'oeil séducteur joue un justicier habité d'une grande puissance émotive. Captivant ! Villamil, à la beauté sobre mais aux yeux d'une expressivité incroyable, campe une juge inflexible mais sensible, une femme cachée derrière son statut mais qui se révèle ça et là. Touchante ! Francella, en brave gars perdu dans l'alcool, incarne très justement la lucidité et les désillusions d'un homme seul et généreux. Rago, en amoureux romantique à qui l'ont vient de retirer sa raison de vivre, arrive en deux intonations et trois regards à te claquer au fond de ton siège avec de l'admiration et de la compassion. Godino, avec son physique particulier dont il joue à merveille pour donner corps à ce Gomez rongé par l'envie et la frustration, est juste à couper le souffle. En une phrase, il arrive à insuffler un sentiment nouveau au spectateur.
Quelques scènes, comme ça...
Quand Esposito croise Morales dans la gare, parce qu'il sait que Gomez est parti mais qu'il reviendra... Qu'il y passe ses journées, en espérant rencontrer l'assassin de sa femme. Parce que l'amour qui le fait encore vibrer n'a plus rien pour résonner... Mon dieu, c'est juste ouf.
Et la scène où Esposito revit son départ en train, seul, où il laisse Hastings sur le quai, et qu'elle court, et court...
Et celle où il retrouve Morales dans sa funeste entreprise ! Et Gomez, sa petite phrase "Dites-lui au moins qu'il me parle !"... A te faire chialer sur place, comme un gosse. C'est du GRAND cinéma.
Suspense, passion, trahison, justice, colère, honte, révélations : tout y est. Et pas n'importe comment : tout y est excellent. C'est bien simple, il m'a profondément marqué pendant toute une journée !