"J'adore ce film, mais il va faire un four."
Le voilà, le vrai dilemme. Comment revendiquer un amour réel, fondé, objectif et subjectif pour quelque chose que tu sais, au fond, être bourré de défauts et, en plus, d'être le seul, à terme, à le défendre ? Que faire face à ce sentiment profond, palpable, beau et rayonnant qui te donne envie d'en parler autour de toi, alors même que tu sais que tout le monde va te rire au nez ou pire, se mettre à penser que vraiment tu as des goûts à coucher dehors ? Cornélien.
Le dernier film qui m'a poussé à ce déchirement intérieur, c'est le dernier Jean-Jacques Annaud, Or Noir. Voilà l'idée.
Au début du siècle dernier, Ammar et Nessib, deux chefs de tribu du désert arabe, passent un pacte : le Corridor Jaune - qui les sépare - n'appartient à personne, nul ne peut le revendiquer. Pour le sceller, Ammar laisse ses deux fils, Saleh et Auda, en otage à Nessib. Quinze ans plus tard, un Américain de la Texan Oil vient prospecter dans ledit Corridor Jaune, y trouve du pétrole et convainc Nessib de profiter de l'argent de cet or noir pour faire progresser son peuple. Sauf que ... cela viole le pacte avec Ammar. Les négociations entre les deux chefs sont vaines et les tensions montent. Saleh, promis au trône d'Ammar, s'enfuit pour rejoindre son père et est tué. Pour rompre le pacte, Nessib adopte Auda et le marie à sa fille Leïla. Lorsqu'Auda est envoyé plaider la cause de Nessib et du pétrole auprès de son père, le malaise entre le père et le fils est palpable, Ammar est inflexible : ce que l'argent du pétrole apportera sera contre nature. Auda, pris entre l'amour pour Leïla et le respect envers son père, choisit de ne trahir ni l'un, ni l'autre. Entraîné par les événements belliqueux qui secouent soudain le Corridor Jaune, il se retrouve à la tête d'une armée factice qui s'élève, peu à peu, contre la guerre qui oppose Nessib et Ammar. Il devient soudain le leader charismatique d'un mouvement de tribus cherchant la paix et le respect. L'histoire reste ouverte, mais le bouleversement est là : un homme a le peuple avec lui, une vision progressiste et le pétrole pour appuyer son action. Qu'adviendra-t-il ? Nul ne le sait.
Alors tu vois, l'histoire est assez chouette. Deux clans, une guerre pour la domination, une histoire d'amour : c'est du Roméo et Juliette. Deux clans, des tribus, des combats épiques, un homme providentiel, un symbole vénéré : c'est du Seigneur des Anneaux. Le désert, l'avidité pour le pétrole, l'avant-guerre : c'est du Tintin au Pays de l'Or Noir. Les moucharabiehs, les turbans, l'honneur, le sable : c'est une fable des Mille et Une Nuits. Il y a toujours moyen de raccrocher cette histoire à tout plein de références fictionnelles connues, et c'est plutôt agréable. Le côté négatif, c'est que le film semble être un patchwork d'ambiances qui lui font perdre une partie de sa crédibilité. Les dialogues et les situations sont simples et pleins de bon sens... mais tout est marqué par un petit manichéisme de bon aloi qui laisse un peu le spectateur sur sa fin. Le rythme est langoureux... et parfois bien trop lent. Pour et contre. Re-pour et re-contre. Encore et encore. Fichtre.
Les images sont magnifiques. Quasi miraculeuses. Les vieilles villes, les costumes colorés, les lumières brûlantes, le sable doré, le ciel intense, Annaud est réputé pour avoir un regard d'orfèvre et le prouve - once again - dans Or Noir. Pas un plan à jeter. Pas une image qui n'invite au voyage. Pas une couleur qui ne fasse rêver. Mais pas un moment qui ne fasse un peu carte postale. On est à la limite du cinéma colonial (la condescendance envers les autochtones en moins). Pour... et contre. Ca ne s'arrêtera jamais ?
Quid des interprètes ? Annaud a fait dans le cosmopolite, et c'est réussi. Dans le rôle du roi traditionnaliste Ammar, le Britannique Mark Strong, un habitué des seconds rôles dans les grands films : il fait un roi inspiré, simple, honorable, fier, droit, sensible, qui chope bien l'empathie du public, même si on aimerait qu'il progresse un peu ça et là. Dans le rôle du roi progressiste mais un peu irrespectueux Nessib, l'Espagnol Antonio Banderas : son accent anglais, un peu marqué, est un peu ridicule... mais va bien, finalement, à ce personnage un peu couard, assez antipathique. Dans le rôle du jeune et bel Auda, le Français Tahar Rahim, étoile montante du cinéma hexagonal : il offre une interprétation élégante et précieuse du jeune prince un peu pris au dépourvu parce que peu habitué à l'action, mais fidèle à sa conscience et choubidou quand il est amoureux. Dans le rôle de la jeune et belle Leïla, l'Indienne Freida Pinto : grâcieuse, délicate ... mais surtout belle, et quasiment limitée à ce registre, parce que les femmes ont un champ d'action bien limité, dans ce film. Rajoutons un autre Britannique en guise d'Ali, demi-frère d'Auda, fils rejeté par son père parce que très progressiste (notamment en ce qui concerne la médecine) : Riz Ahmed, qui, sous son costume à la Indiana Jones, porte sur son visage et dans son jeu toute la fraîcheur du progrès, de l'espoir et de tout ce qui est beau dans le monde. Si si, je t'assure. Le Français Eriq Ebouaney en bras droit d'Amar, l'Ethiopienne Liya Kebede (vue dans Fleur du Désert, récemment) en meneuse de tribu du Sud, le Britannique Akin Gazi en Saleh, frère d'Auda, ... On aime tout ce beau monde, c'est sûr. Et là, on ne peut pas critiquer. Non, parce que j'ai trouvé les interprétations vraiment excellentes (allez, celle de Banderas est pas top top, j'avoue).
Bref, j'ai beaucoup aimé cet Or Noir. Je sais qu'il a plein de défauts. Je sais que la très grande majorité d'entre vous ne l'aimera pas. Et tu sais quoi ? C'est cette variété d'opinions, notre richesse.