J'aime pas les super-héros. J'aime pas trop les héros.
Tels des super-Papas, ils nous tiennent dans la croyance qu'on sera toujours protégés, et donc que nous n'aurons pas à faire face à nos angoisses existentielles. Après, on reporte notre frustration sur nos chefs d'état, et la déception est encore plus grande. Donc, j'aime pas les super-héros, c'est pourquoi j'ai consciencieusement évité les Superman, Spiderman et autres Kick-Ass, que j'évite habilement toute proposition d'aller voir Green Lantern, et que j'éviterai rageusement Captain America. Pour autant, j'avoue ne pas avoir boudé les Batman (parce qu'il n'a pas de super-pouvoir, juste des super gadgets), et que je ne boude pas non plus les films catastrophes sur le thème "on va tous mourir". Depuis Titanic, j'ai même un certain goût pour toutes les scènes de destruction et de "je-panique-ouhla-attention-bam-je-suis-mort". J'aime pas trop les héros, je préfère les miraculés, ceux qui s'en sortent de justesse parce qu'ils ont de bons réflexes de survie. Mais ... si le jeu, les musiques, les plans et les émotions tendent un peu à se ressembler d'une croûte d'un film à l'autre, il manquait sans doute une façon d'aborder le film catastrophe : la soumission. Chose que les Américains ne sont pas capables de faire, d'Armageddon à 2012 : l'homme cherche une solution extraordinaire pour se sortir (avec l'Humanité, ou juste une partie d'elle) d'une situation extraordinaire. Il fallait donc un non-Américain pour filmer la résignation de quelques uns à voir le monde toucher à sa fin ... il fallait donc un réal adepte des univers un tantinet déprimants ... bref, il fallait le Danois Lars von Trier.
L'oeuvre mêlant film catastrophe et film d'auteur, c'est Melancholia, selectionné à Cannes 2011, adoubé par la critique jusqu'à que Lars vienne déblatérer des trucs mal compris sur les nazis. Mais revenons-en au film.
Justine
épouse Michael et fête ça chez sa soeur Claire et son beau-frère John dans leur manoir planté au milieu d'un golf 18 trous, paumé dans la campagne britannique. Tout le monde pourrait être heureux
... si l'on n'était pas dans un Lars von Trier. Justine est atteinte d'un mal étrange. Un truc qui perturbe son humeur, au point, parfois, de la faire tomber en plein catatonie. Passant en
quelques instants du bonheur à la plus profonde atonie, des rires à la déprime. Simple bipolarité ? Pas exactement. Dépression chronique ? Trop simple ... Du mariage aux quelques jours qui
suivent, Justine tombe dans le gouffre d'inertie au bord duquel elle marchait.
Dans un second temps, Claire, que l'état de sa soeur inquiète, la recueille chez elle. Elle doit s'occuper de sa soeur, qu'elle couve, de son fils, qu'elle aime par principe, de son époux John. Mais elle s'inquiète : Melancholia, une planète jusque là restée cachée par le soleil, est censée effectuer un passage très près de la Terre ... elle s'inquiète : et si elle nous percutait ? A mesure que la planète approche, Claire se laisse submerger par l'inquiétude. Pas celle de sa propre fin, non : celle pour son fils. Que deviendra-t-il si je meurs ? Et s'il meurt ? Et si ... Face à elle, John rationalise et Justine se fait fataliste. Entre un "non, ça ira" et "la mort, et alors ?", comment apaiser ses angoisses ?
So ? Kirsten Dunst, dans le rôle de Justine, a remporté le prix d'interprétation féminine à Cannes ... son visage triste, son personnage magnifique de fatalité molle, son côté poupée de porcelaine, sa grâce (qui avait rendu si bien dans Marie-Antoinette, de Coppola) en font un éminent personnage de tragédie. Mais ne nous voilons pas la face : Kirsten a raflé le prix parce que Charlotte ne pouvait pas l'avoir une seconde fois dans un film de Trier. Parce que Charlotte Gainsbourg, dans le rôle de Claire, est infiniment plus variée et précise que Kirsten. Elle est le seul élément apparemment "normal" de toute sa famille, s'oubliant pour sauvergarder l'unité des siens, ménageant la chèvre et le chou ... mais soudain inquiète sur l'équilibre de son monde, pour son équilibre ... Rajoutons au duo magnifique un Kiefer Sutherland (John) trouvant son équilibre dans la rigueur, un Alexander Skarsgard (Michael) en homme idéal (beau, attentionné, amoureux, fier), une Charlotte Rampling (Gaby, la mère) désabusée et bileuse, un John Hurt (Dexter, le père) excentrique et alcoolisé, ... L'interprétation est belle, vraiment touchante, elle te convainc tout à fait, et tu prends peu à peu le parti de l'un ou de l'autre, de Justine puis de Claire, parce que ces personnages, adaptables, intelligents, sensibles, sont peu ou prou écrasés par eux-mêmes ou par leur entourage.
Ca, c'était le côté film d'auteur. Et le côté film catastrophe ? Soulignés dès les 15 premières minutes avec une vue de l'espace de Melancholia percutant la Terre (rêve ou vision de Justine ? Fait réel permettant le vaste flashback qu'est le reste du film ?), les attributs traditionnels du film catastrophe à l'américaine sont dynamités : Melancholia est un huis clos en extérieur, à peu de personnages (4 restent du début à la fin) pour éviter les scènes de panique, les hurlements, l'effet de masse millénariste. Mais Trier nous régale deux deux scènes de destructions concrètes (une vue de l'extérieur, une vue depuis le théâtre des opérations), et une multitudes de destructions symboliques (l'autodestruction de Justine, puis les éléments percutant Claire, le sort de John, ...) et surtout soulève en profondeur la question que les Américains font passer dans un regard échanger entre le héros et sa nana : que fait-on, face à notre propre mort ? Sans déprime, sans attachement irrationnel, Lars von Trier, auteur du scénario, livre un film d'une puissance remarquable, incroyablement lumineux, éclairé encore par ce Wagner tonitruant, même s'il faut être patient. Parce que tu admettras que c'est quand même vachement long, comme film...