Wannabe.
Par certains aspects dictés par le groupe, on devient adulte. On fait un projet, on travaille pour qu'il marche, on réussit ou on échoue. Tout cela, on le voit. On : toi, moi, les autres. Pour nous tous. La vie est un vaste jeu de Schrödinger : à peine l'idée d'un projet est-elle là qu'il est déjà aussi couronné de succès qu'avorté. Quelles forces, quel courage, quelle ténacité faudra-t-il pour parvenir à ses fins ?
Prends l'exemple de Barbara. Sur le point d'être nommée miss Blackpool - une année entière à être reine cheap de sa bourgade de la côte nord-ouest de l'Angleterre, que d'orgasmes en perspective, hein -, Barbara décline, embarque pour Londres et se lance à la poursuite de son seul rêve : devenir une reine de la comédie télé. Faire rire les gens : un noble but. Plusieurs obstacles : elle est une femme dans l'Angleterre des 60's, elle est jolie, et personne ne la connaît. Sans se laisser démonter, elle semble se laisser façonner par une équipe qui voit dans son physique un projet télévisuel intéressant, et impose petit à petit sa finesse et son esprit pour entrer dans le club des grands. C'est dire : en quelques temps, elle monte le projet autour d'elle, met les hommes en ordre de marche, renouvelle l'image de la femme, crée un précédent. 50 ans plus tard, elle regarde le passé avec l'inquiétude des actrices qui ne sont pas devenues Liz Taylor, sans être oubliées pour autant.
Pour nous lecteur, le pari de Barbara est l'enjeu de l'existence : se lancer ou ne pas se lancer. Succès, échec, peu importe : notre choix est à l'aveugle. L'avenir nous le dira, paraît-il.
Barbara est l'héroïne de Funny Girl, roman de Nick Horny, publié en français chez Stock (2014).
Les cinéphiles auront déjà croisé Nick Hornby, dont Stephen Frears a adapté le High Fidelity en 2000, et il fut nommé aux Oscars en 2010 pour Une éducation, de Lone Scherfig. Oui, voilà.
Funny Girl est un roman léger, pimpant, sans complexité. L'écriture est souple, ne s'alourdit d'aucune description inutile ou de style travaillé : elle va droit à l'objet décrit, et fait ainsi avancer la narration tambour battant. D'un dialogue à une narration en narrateur omniscient, suivant Barbara le plus souvent, les autres plus ponctuellement, Funny Girl nous raconte une petite bande à l'assaut de... de...
C'est compliqué. Page après page, le roman semble nous décrire la vie de Barbara, puis l'aventure d'une nouvelle série télé, puis l'esprit de bande dans les arcanes de la BBC, et en filigrane l'Angleterre de l'époque, la cause féminine, le milieu du show business. Sans jamais choisir, Funny Girl mange à tous les râteliers, abandonnant en page paire le sujet passionnant de la page impaire. Au point que, guidés par l'écriture simple et joviale d'Hornby, on ne fait plus vraiment attention à ce que l'on raconte, et "le destin d'une jeune fille ambitieuse" mute en "la couleur du temps". On pourrait regretter le manque de subtilité de l'intrigue, c'est au final son instabilité que l'on dénoncera en premier.
Ce qui est plaisant, dans ce roman, n'est donc pas la splendeur de l'écriture ou la maestria de la construction, mais bien cette façon d'éveiller l'ambiance des sixties, celle des tabloïds qui suivent les yéyés made in England - les Beatles ne sont jamais loin - la BBC, les filles et les garçons... et pourtant, Hornby ne nous décrit rien : pas un vêtement, pas une coupe de cheveux, pas une voiture - pas une seule mode qui pourrait nous rappeler que l'on est dans le Swinging London. C'est donc une ambiance suggérée et légère, qui rend la lecture plaisante, mais pas passionnante.
Un peu comme la vie d'adulte, par certains aspects.
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Fun fact : le Funny Girls est un bar de Blackpool. Mais pas n'importe quel bar : un cabaret burlesque, où la communauté LGBT a établi ses quartiers avant la banalisation des années 2000.