From David to Daniel.
Carlos Ruiz Zafon, c'est un peu le it-écrivain espagnol du moment. Je t'en avais déjà parlé ici, à propos de L'ombre du vent (2002), j'avais été conquis par l'aisance de son écriture, la thématique sombre, romantique et gothique, de ses histoires, par la richesse stylistique et la complexité de son sens du détail. J'avais été conquis. Quand j'ai découvert, au hasard d'un rayon de librairie, Le jeu de l'ange (2008), un livre épais, à la couverture bien choisie, du même auteur... J'ai craqué.
Dans ce roman, 2e volet de la trilogie du Cimetière des Livres Perdus, le livre et la littérature jouent un rôle central. Le livre est vivant, porteur de malédictions et de remèdes, il symbolise une âme, une histoire, un avenir. La littérature est une maîtresse gourmande, qui se nourrit de l'énergie de qui lui donne vie, de l'âme de qui la parcourt, de la vie de qui la sert. Véritable monstre affamé d'esprits forts, fins, sensibles, la littérature devient un des personnages centraux de cette histoire...
David Martin est un jeune garçon prometteur. D'un talent littéraire inouï, passionné par l'écriture à travers laquelle il perçoit le monde, il est très vite repéré par un éditeur qui souhaite exploiter son talent, puis par un autre éditeur, le mystérieux Corelli, qui lui propose un sinistre projet d'envergure, "un libro como no se ha escrito jamas". David, désespéré par une maladie qui le ronge, par le manque d'un père aimé, par la trahison de celle qu'il aime, Cristina, et l'incapacité d'en référer à son ami Pedro, accepte. Installé dans une obscure demeure laissée à l'abandon, il part à la découverte de l'occupant précédent, Marlasca, dont le destin ressemble étrangement au sien, et dont l'histoire mêle amour, amitié, malédiction et meurtres. Commence alors, pour David, une descente aux enfers - non pas physique, non, mais mystique : les histoires se croisent, ses proches sont impliqués, menacés, battus, tués, la police le recherche, parce qu'un seul et unique élément réunit toutes ces morts soudaines... David. Plus il avance dans son enquête, plus David est face à des fantômes, à des histoires honteuses, douloureuses, violentes, passionnées, qui correspondent à merveille à cette Barcelone noire et rouge des années 1900, telles que décrite par Zafon. (Attention, spoiler !) Le jeu de l'ange est le prequel de L'ombre du vent : le petit Daniel apparaît à la fin...
"Chaque livre a une âme. L'âme de celui qui l'a écrit, et l'âme de ceux qui l'ont lu, ont vécu et rêvé avec lui."
L'écriture de Zafon, dans L'ombre du vent, était enivrante, envoûtante, elle t'entourait pour ne pas te lâcher. On était dans la brume barcelonaise, c'était impressionnant. Dans Le jeu de l'ange, elle l'est toujours autant, mais plus aussi finement. On repère au kilomètre la sur-abondance de mots relevant du champ lexical de l'ambiance glauque (noir, sinistre, poussière, pénombre, ciel rouge, vent glacé, cimetière luisant, fumée, méfiance, etc.). On dirait qu'il veut grossir le trait, toujours plus, pour donner à son décor un aspect surnaturel, entre la vie et la mort, entre la fatalité du lugubre et le mystère du divin... au point que ce soulignement perpétuel devient grossier, presque gênant. Pour autant, cette histoire interminable et paranormale de David-Martin-qui-court-à-sa-perte est palpitante : qui mène le bal ? Que se passe-t-il vraiment ? Qui est ce Corelli qui se prend pour Dieu ? David a-t-il sombré dans la folie ? Le scénario, bordélique mais impitoyable, capte l'attention, et l'écriture dense, riche et redondante de Ruiz Zafon parvient à la capturer.
Conclusion ? Le jeu de l'ange est à lire avant L'ombre du vent : on va ainsi du bon vers le meilleur.