La chaîne américaine Showtime, membre du groupe CBS, est une des meilleurs créatrice de séries de notre temps (Queer as folk US, Dexter, United States of Tara, Weeds, The L word ...).
Après l'excellent The Tudors, emmenée par Jonathan Rhys-Meyer et Henry Cavill sous la direction de Michael Hirst, Showtime revient avec The Borgias, avec Jeremy Irons et François Arnaud, dirigés par Neil Jordan. Qui ? Quoi ? Pas de mystère : Showtime a saisi le succès des Tudors, et recopie sa recette en changeant quelques ingrédients.
L'espace et le temps : 1515-1547 pour les Tudors, 1492-1503 pour les Borgias, l'Angleterre pour les Tudors, l'Italie pour les Borgias. L'Europe de la Renaissance, où comment les Américains se passionnent pour une Histoire : la leur, avant qu'il soit question d'Amérique du Nord.
Les personnages principaux : une famille. Les Tudors, donc, autour du roi Henri VIII (à gauche), contre les Borgias, autour du pape Alexandre VI (à droite). 6 épouses, 3 enfants pour les Tudors, 2 concubines et 4 enfants pour les Borgias. Les tourments d'une famille prise dans l'Histoire, la lutte acharnée entre le pouvoir, la mort et la pureté sur l'échiquier de terres (quasi) entourées d'eau.
Les thèmes : la politique, la religion, les fêtes, les apparitions divines de jolies filles et le regard grave des hommes sombres. Ce qui donne, évidemment, de nombreuses similitudes entre les deux séries, à l'image : scènes de fête, omniprésence de l'ombre, des mouvements de tissus (robes, capes et soutanes), unité dans le vêtement, l'ambiance sonore, le bon geste, le beau parler et le bien danser, etc.
Rajoutons une partie du personnel en commun, à la réalisation (Jeremy Podeswa), à la musique (l'excellentissime Trevor Morris), au casting (Frank et Nuala Moiselle) ... et ça devrait continuer.
=> Des séries plus que soeurs, donc : des séries jumelles.
Bon, soit. Mais causons des Borgias, un peu.
Côté synopsis, la ruse est facile : la Renaissance regorge d'intrigues où la sensibilité humaine telle qu'on l'envisage aujourd'hui est malmenée entre guerre, ambition, passions et foi. Chaque action entraîne mille réactions, et toutes les cartes sont redistribuées : terres, alliances, mariages, qui est ami, qui est ennemi. Rodrigo Borgia parvient à se faire élire pape en 1492 ? Il est aussitôt accusé de simonie (achat de charges ecclésiastiques), de luxure, de népotisme, de ... tout ce que tu peux imaginer de pire au sommet de ce qui, en principe, inspire le respect, l'amour et la résignation : la bienveillante Eglise catholique. Ne t'y fie pas : il ne sera jamais question de comment l'Eglise fait tout pour aider les plus démunis, non ! Il sera question de pouvoir, de richesses, d'alliances, et de justification hasardeuse par la foi.
Le personnage principal : Rodrigo Borgia, nommé pape sous le nom d'Alexandre VI. Jeremy Irons (The man in the iron mask, Kingdom of Heaven, Inland empire) lui donne une carrure exceptionnelle, crédible, celle d'un homme avide de pouvoir et capable de tout une fois placé au plus haut. Il prend maîtresse, place ses enfants, élimine indirectement ses opposants, joue sur plusieurs degrés de lecture en même temps.
L'ennemi : le cardinal Guliano della Rovere, archévêque d'Avignon. Combattant, apparemment, pour une papauté digne, puissante, pure, il ne peut accepter le règne de hors-la-loi qu'Alexandre VI mène : le Borgia traîne l'Eglise dans la boue. Colm Feore (Battlestar Galactica, Les chroniques de Riddick ou encore Thor) en fait un personnage dur, impitoyable, rongé par la haine.
L'ami trouble : Cesare Borgia, second fils de Rodrigo, évêque de Pampelune et cardinal tout jeune (17 ans !). Il soutient son papa dans les affaires de l'Eglise, mais aimerait échapper et au système que son paternel construit depuis le siège pontifical (corruption, meurtres, tout ça) et au destin qui lui est réservé, en tant que second, à savoir la carrière ecclésiastique, aussi prestigieuse soit-elle. Le jeune François Arnaud (l'Antonin du brillant J'ai tué ma mère de Xavier Dolan) lui donne finesse et sensibilité, mais aussi fougue et détermination. Un joli coup.
La victime innocente : Lucrezia Borgia, 3e enfant et unique fille de Rodrigo. Gamine mariée à un sagouin (Giovanni Sforza, maître de Pesaro) au nom de l'alliance diplomatique ... Sur son cas, la fiction se permet quelques erreurs historiques, mais c'est souvent le cas des personnages féminins avec Showtime (on se souviendra de la soeur d'Henry VIII dans the Tudors). C'est la jeune Holliday Grainger (Bel-Ami, Jane Eyre) qui lui donne ses traits angéliques de gourdasse qui va vite déchanter.
Who else ? Juan Borgia, premier fils de Rodrigo, promis à une carrière militaire. Vanozza Catanei, mère des enfants Borgia un peu mise au placard (parallèle fastoche avec Catherine d'Aragon, dans les Tudors). Giulia Farnese, la nouvelle maîtresse en titre du souverain pontife. Michelotto Coreglia, mercenaire, tueur à gage, à identités multiples, roi de la corde pisane (étranglement à la corde de violon). Mais aussi, pour les plus férus d'histoire, Savonarole (le prédicateur millénariste qui plongea Florence dans la peur après la mort de Laurent le Magnifique) et Charles VIII, roi de France qui est interprété par ... Michel Muller. So pas sexy du tout.
Et sinon, ça vaut le coup ? C'est assez plaisant. Le fan des Tudors s'y retrouvera, mais sans l'engouement de la découverte. Le générique est un peu plat, ça manque de panache. La bande son est bourrée de chants grégoriens au point que bon, on aimerait bien qu'ils se taisent, par moment. Il manque une figure masculine tutélaire, un beau mec qui les ferait toutes chavirer avec son sourire craquant et sa droiture morale (no offence, Cesare). Et une destinée supérieure qui serait un peu comme l'amour-pur-dans-les-Tudors, et autre chose que le pouvoir et l'argent. Toutefois, si, à l'instar des Tudors, qui s'étaient arrêtés à la mort d'Henri VIII sans faire sa succession (pourtant toute aussi palpitante), les Borgias s'arrêtent à la fin d'Alexandre VI, on va manquer le meilleur : la vie exaltée de Cesare. A suivre, donc.