Mon père est médecin.
Il fait des merveilles : son bureau est rempli de petits cadres "Diplôme du plus gentil médecin" ou "Certificat du docteur le plus sympa". Pour autant, il doit avoir des gènes de vitrier : il m'a transmis le don d'être transparent. Un don qui se révèle être une tare. Au quotidien, mon éducation me pousse à ne pas faire de vague, comme les plongeurs olympiques. A ne rien dire, à perfectionner ma discrétion, et à endurer physiquement et mentalement ce sentiment d'être vide - parce que le plein, lui, se voit. Cela fait de moi un chouette élément de décor. Dans cette société de l'individu, où la lutte pour être le premier, on ne reconnaît plus les qualités des autres : on ne consacre que les siennes. Mais quand on s'use à applaudir les autres, qui nous applaudit, nous ?
J'ai souvent ce sentiment de vide. Celui de passer à côté de ce que je suis vraiment. Celui de manquer des occasions de me réaliser, d'exprimer ce qui m'habite, de faire éclater ma vérité. A force de la comprimer pour qu'elle passe inaperçue, elle s'est évaporée, peu à peu. Et c'est un grand cri de frustration qui résonne sourdement.
"Une des plus belles choses du ballet classique, c'est le passage, dans le Lac des Cygnes, où les trente-deux danseuses du corps de ballet dansent ensemble. Mais dans cette partie, il y a de longs moments immobiles, les "poses", où nous devenons un décor humain afin de mettre en valeur les Etoiles. Et pour nous, c'est la chose la plus horrible à faire. Moi, par exemple, j'ai envie de hurler, ou de quitter la scène."