Abrutissement
Je ne sais pas si c'est dû à la fatigue physique ou à l'épuisement intellectuel, mais j'ai un peu le sentiment de traverser les journées mécaniquement. Comme si le quotidien avait vidé le sens - et donc la démarche cognitive qui va avec - de tout. Yalla, je me sens comme un zombie. Curieuses circonstances - ou intuitions inconscientes ? -, c'est un mot qui est revenu souvent, ces temps-ci.
# Bret Easton Ellis
A grands coups de sexe, drogue et nonchalance, l'enfant terrible de la littérature américaine montrait, en 1994, que l'American Dream était en crise. Un roman à la première personne, ou plutôt aux premières personnes, puisque l'on switche d'un personnage à l'autre, de la mère ingrate aux regrets tardifs noyés dans des passe-temps vides de sens au fils désabusé, n'apportant d'importance à rien, à la New-Yorkaise tourmentée dévergondée en Californie, au ravisseurs d'enfants... Tous dans des schémas psychologiques préconçus, dictés par l'image du succès, la morale de la perfection et les médias dictateurs, et quand une once d'angoisse existentielle les saisit, ils boivent, fument ou s'injectent ce qu'il faut de stupéfiant pour passer à autre chose. Ces Américains, écrasés par la nécessité d'être et de paraître quelquechose d'approuvé, contre son gré, contre son évolution, juste pour ne pas être banni du lot... Ces Américains-là viennent en fait à vivre en suivant les règles et en éteignant leur conscience. Ellis, l'homme qui abat la société américaine à bout portant (à la Tarantino).
# The Cranberries
A grands coups de "what's in your head ? Zombie !", Dolores O'Riordan nous expliquait, en 1994 (tiens !), que la guerre, c'est mal. Considérant l'antédiluvienne rivalité entre catho-pro-Eire et protestants-pro-UK en Irlande du Nord, qui passe autant par la violence physique faisant la une des journaux que par la violence morale (qui veille à pourrir l'innocence des enfants en leur apprenant la haine de l'autre), la chanteuse ramène les auteurs, volontaires ou non, de cette détestation à la figure du zombie, qui agit sans réfléchir, qui ne le peut même pas, tout décérébré qu'il est. Mais surtout, elle leur retire avec colère leur statut d'être humain : sans âme, sans émotion, juste poussés par cette haine homicide.
# George A. Romero
Dawn of the Dead (1978) - littéralement L'aurore des morts - était annoncé comme la suite de Night of the Dead (1968). Romero, particulièrement décrié, allie à la violence psychologique et physique des films d'horreur qu'il réalise une réflexion en profondeur sur la société américaine (lui aussi). Car qui, au final, sont les plus zombies ? Ceux qui reviennent du monde des morts pour se nourrir de chaîne humaine ou ceux qui, tentant de fuir les problèmes, ne pensent qu'à leur survie en se réfugiant dans un supermarché où ils vont reproduire les gestes de leur vie "normale" ? Véritable critique du consumérisme déguisée en film d'horreur giclant, Zombie (titre européen) est entré dans les annales du cinéma mondial. Après un remake (2004) et une série de clins d'oeil (cf Zombieland, 2009). Preuve que la société du spectacle, elle aussi, sait noyer le public en lui occupant plaisamment l'esprit.