Economie de la confiance en soi.
Faut-il avoir une confiance infaillible en soi, une conscience de la puissance de son être, de son originalité, de sa définition, de sa destinée, une forme de certitude, même indéfinissable, mais profondément ancrée, presque palpable, que ce dont on est constitué est arrivé à un stade avancé de perfection dans sa nature et dans son agencement, pour en arriver à nier le besoin d'ouverture, de nouveauté, de remise en question, pour être certain à ce point que l'état actuel de son être, sa finitude, son dess(e)in, sont optimaux et n'ont besoin de rien d'autre.
Faut-il un niveau d'autosatisfaction ahurissant pour s'estimer dispensable de création contemporaine. Croire que la connaissance du passé suffit à remplir le présent et à envisager l'avenir. N'aller que vers des formes connues, et ne jamais questionner ni nos valeurs, ni nos visions, ne serait-ce que pour s'assurer qu'elles sont solides. Penser que "je n'aime pas" n'est pas aussi important que "j'aime" pour l'esprit et la constitution du goût, croire que le monde peut se passer de laideur, d'étrangeté, de malaise : voilà le vrai obscurantisme. La création contemporaine n'est pas prescriptrice de formes, elle questionne, elle nous permet de savoir qui nous sommes, et de nous remettre en question. Elle est donc essentielle.
Alors, à ces candidats qui pensent que seule une identité collective déjà acquise doit se refléter dans la culture collective, alors que ce sont justement les questions culturelles individuelles qui doivent nourrir l'identité collective, je veux poser une question : êtes-vous à ce point certain que l'étroitesse de votre horizon est un paradigme universel ?
L'absence totale de la culture dans les débats politiques - qu'il s'agisse des primaires de la droite et du centre ou des primaires citoyennes - et l'approche technocratique (financière, administrative) des programmes des candidats à la présidentielle en France montre le succès de la société du divertissement sur la société culturelle ; et la démagogie (que certains appellent doucereusement "populisme", quand il s'agit d'électoralisme) montre la victoire des idées courtes et des solutions faciles sur la nuance et l'intelligence.
Les menaces de mise à mal d'une conception de la Culture comme nécessaire à l'ouverture de l'esprit dans un but d'asservissement au storytelling identitaire (comme si ce n'était pas déjà le cas par ailleurs) sont légions. Suffit de lire Paris Match Culture et libertés, le blog du CLIC, bras culturel du Flou National, ou la suppression annoncée du National Endowment for the Arts outre-Atlantique, mais aussi la multiplication de l'ingérence politicienne dans le fait culturel local (de la validation des contenus des programmations au vote arbitraire des subventions), ce n'est pas une démocratie qui choisit ce qu'on crée pour elle, mais une idiocratie qui regarde les chiffres et les têtes d'affiches. Comme si, après des décennies de culture savante, on se devait de sauver la culture de masse... alors que c'est justement cette culture de masse qui étrangle la culture savante - et donc les chefs d'oeuvre de demain - depuis toujours. Aux Béotiens les mains pleines.
On ne sait qu'une chose : le sursaut n'aura lieu que lorsque toute la télé française aura sombré. Heureusement, Bolloré est là pour hâter le processus.