Pschent.
Quand il s'agit de cinéma, il y a deux Egyptes. Celle, antique et rêvée, de Cléopâtre (Joseph L. Mankiewicz, 1963), et celle, moderne et décorative, d'OSS 117 (Le Caire, nid d'espion, Michel Hazanavicius, 2006). La pharaonique et l'impériale.
Oui, hurle : il y en a une troisième : la présidentielle. Le cinéma égyptien, qui navigue entre musical naïf et réaliste politique depuis l'indépendance du pays en 1922, s'est particulièrement recentré sur le social à partir des années 50. Nationalisé, il est même devenu sous Nasser puis El-Sadate le principal vecteur de la culture arabe (et égyptienne) dans le monde. Pourtant, à l'instar des deux exemples cités plus haut, c'est bien l'œil étranger (occidental, même) qui dessine le plus notre représentation du pays - et ce, malgré les efforts des distributeurs, qui nous ont proposé de grands films récents, tels Les femmes du bus 678 (Adel Imam & Mohammed Diab, 2010) ou L'immeuble Yacoubian (Marwan Ahmed, 2006).
Ainsi, le dernier film sensationnel évoquant l'Egypte, tu l'auras remarqué sur toutes les affiches du pays qui le vendent comme "magistral", "sensationnel", ou "un thriller haletant", c'est Le Caire Confidentiel, du Suédois Tarik Saleh.
# Le sujet
Au Hilton du Caire, une chanteuse est assassinée dans une chambre. Salwa, femme de chambre d'origine soudanaise, a aperçu le meurtrier. L'enquête, menée par Noureddine, commandant de la police de l'arrondissement, est vite close par la hiérarchie. En creusant, Noureddine découvre que la fille faisait partie d'un réseau et faisait chanter un proche du président Moubarak... La volonté de justice de Noureddine le met en danger, ainsi que Salwa, dans le grondement de la révolution politique de 2011.
# Une vision de l'Egypte... ou du monde ?
Alors si tu espères un film d'action sur fond de mystères et de pyramides, tu vas être déçu-e. Le Caire confidentiel est un film sur la justice dévoyée, la corruption et l'irrespect de classe, il aurait tout aussi bien pu prendre place en Russie, qu'au Mozambique ou au Vénézuela, bref, partout là où il y a mafia politique et violence sociale (donc partout).
Le choix de l'installation de l'intrigue dans l'Egypte du début 2011, alors que le régime Moubarak commence à vaciller sous le poids de la rue est anecdotique - puisque les évènements n'interagissent avec le film qu'à un court instant -, au mieux symbolique (la volonté d'un pouvoir émanant des bons sentiments de la base, retournant le système en place).
Le coeur même de l'intrigue est toutefois largement inspiré de l'affaire Suzanne Tamim, une chanteuse libanaise dont le meurtre salit l'entourage de Moubarak, avant un procès très médiatisé. Ainsi, la critique de la société égyptienne est réelle et tous azimuts : la police, la justice, le gouvernement, l'intégration, le mépris de classe y sont placardés clairement, même à couvert. Et les aspects thriller du film sont noyés dans un réalisme qui, certes, ne donne pas envie d'habiter la ville, mais qui permet sans doute de tendre un miroir salutaire à un pays en grand besoin d'humanité... et d'équité.
# Alors ?
Si l'intrigue est passionnante, la réalisation ne l'est pas vraiment. Ce que le film noir a légué au cinéma, c'est bien l'épaississement progressif de l'intrigue par le rajout de niveaux de complexité dans les jeux de pouvoir et le renforcement du doute et de la méfiance pour tout, même ce en quoi on avait une confiance aveugle. Ici, les pistes sont quasiment toutes données dès les 10 premières minutes du film, téléguidant une partie du récit. Salwa aurait pu n'arriver qu'au milieu du film, par exemple. Du "thriller haletant" on attend bien les signes : au vu de ce qui est révélé au spectateur, le rythme est lent, certes ralenti par des contrariétés liées à la corruption égyptienne, mais qui n'apportent pas vraiment d'opacité à l'ensemble. En résulte un sentiment d'attente, de longueurs.
Toutefois, relevons l'excellence du jeu d'acteur, la tension palpable dès qu'il s'agit de Salwa, la puissance de l'évocation de la violence, de la sensualité des femmes et la veulerie des hommes. Le tout crée une ambiance délétère qui atteint son but : mettre absolument mal à l'aise et en colère. Preuve que le film est sain, dans son effet secondaire.