6e variation sur le même thème.
On connaît Sofia Coppola pour la poésie qu'elle cherche à insuffler au vide et à l'ennui, digne fille de cette Amérique hébétée par ses propres excès. De Virgin Suicides (1999) où les jeunes filles se perdent dans le manque d'intérêt pour la vie à The bling ring (2013) où les jeunes filles se perdent dans l'illégalité par inconséquence, en passant par Lost in Translation (le sentiment de ne pas être au monde, 2003), Marie-Antoinette (la déconnexion du réel, 2006) et Somewhere (l'ennui créatif, 2010), Coppola met en image ce que Bret Easton Ellis a mis en mots : la nécessité de créer de la vie intérieure, quand la vie extérieure est sans but, sans perspective. On n'espérait donc pas que Les Proies (2017) seraient le paroxysme de l'action ou de la cause, mais bien une nouvelle preuve que l'oisiveté est mère de tous les vices. Voyez plutôt :
De quoi ça parle ? Un pensionnat de jeunes filles en Virginie pendant la guerre de Sécession, où ne reste que la directrice, une enseignante et cinq élèves. L'une d'entre elles, Amy, trouve un soldat nordiste blessé dans la forêt et le ramène au pensionnat. Par charité, les sept femmes vont en prendre soin. Le loup est dans la bergerie...
Alors ? Alors on n'est pas déçus : du roman de Thomas P. Cullinan ou du remake de la version de Don Siegel (1971), Coppola semble n'avoir gardé que l'ambiance coupée du monde, en mode cabane 4 étoiles au fond des bois, pour mieux pousser ses personnages à l'ennui. Et elles s'ennuient, ces femmes, au point que la moindre distraction - humaine, virile, sexualisée - balaie tout ce qui existait auparavant. Et le distrayant s'ennuie aussi : cloué au lit par sa blessure, il se contente de contempler le ballet des pulsions féminines, et remis sur pied, il rejoint ledit ballet pour y remettre un peu de sel. Quand on y pense, la télé-réalité où l'on enferme des gens sans but véritable n'a rien inventé.
Nuançons. Le film aligne les (anciennes ?) figures féminines dans leur rapport à l'homme : l'enfance naïve (Oona Laurence), l'adolescente surchauffée (Elle Fanning), l'adulte complexe (Kirsten Dunst), la mature sûre d'elle (Nicole Kidman). Chacune joue sa partition selon sa ligne, en réaction aussi à la concurrence, avec une seule cible, mais plusieurs envies : le caporal ennemi (Colin Farrell). C'est drôle, mais pas très subtil. Quand le mâle blessé devient le mâle menaçant, les cartes se redistribuent, approfondissent les rôles : l'enfance traumatique, l'adolescence froussarde, l'adulte perverse, la mature protectrice.
Et donc ? Et donc si la photo est belle et les acteurs au niveau, il manque à ce film qui se targue de parler des êtres la profondeur des caractères, l'intensité des émotions, la vérité des personnalités, dans une situation tellement à même de les exacerber. C'est simple : on s'ennuie. Ainsi, Farrell est presque inutile durant la première moitié du film ; et toute la richesse du jeu des interprètes disparaît dans la seconde partie. Si elle avait revu Shining juste avant de tourner, Coppola aurait compris comment faire exploser le flippomètre tout en exaltant ses personnages. Mais rappelons que l'ennui est ici le personnage central... mais qu'il manque, cette fois, la poésie. D'où son prix pour la mise en scène à Cannes, sans doute.
Bon. Je te conseille de revoir le subtil Somewhere, bien plus réussi. Ou d'attendre le prochain, qui sortira d'ici... 3-4 ans.