Sous-emploi
Certaines affiches font des promesses folles. Sélection cannoise oblige, prenons l'exemple d'Everybody knows. Le réalisateur, Asghar Farhadi, fait partie de mes favoris depuis Une séparation (2011), qui l'avait porté à la connaissance du grand public français, et qui m'a depuis amené à adorer tout ce qui nous a été donné de voir sur grand écran, de Les enfants de Belleville à Le Client. Un regard intelligent sur la société et ses travers douloureux, un goût pour le réalisme et une certaine forme de théâtralité, une réalisation simple, un montage équilibré, un rythme efficace... D'autant qu'avec Le Passé (2013), le réalisateur iranien avait montré qu'il pouvait œuvrer avec des acteurs étrangers - les Français Bérénice Béjo et Tahar Rahim, avec éclat. A la découverte du cast d'Everybody Knows - les Espagnols Penélope Cruz et Javier Bardem, et le royal Argentin Ricardo Darín - j'ai tressailli : ça promettait un drame d'exception.
De quoi ça parle ? Laura revient dans ce petit village d'Espagne pour assister au mariage de sa sœur. Le soir de la fête, sa fille aînée, Irene, ado joyeuse et spontanée, disparaît. Un SMS les prévient : s'ils parlent à la police, l'ado sera tuée. Paco, ami de la famille et ancien amant de Laura, s'investit particulièrement dans les recherches...
Et c'est bien ? Tu n'as pas rêvé : ce pitch est celui d'un demi-million de téléfilms français, séries américaines ou polar banals. Un polar dont les twists n'en sont pas : tout est téléphoné. De l'exploration des sentiments et psychés des personnages, nous n'obtenons rien, puisqu'ils sont étonnamment peu creusés. Nous n'apprenons rien des personnages ou des sociétés dans lesquels ils évoluent. Peut-être s'agit-il d'un film à contre-courant de ce que Farhadi faisait auparavant : ce n'est pas un film iranien qui nous éduque, nous Européens, sur la situation en Iran, mais un film européen qui éduquera des spectateurs ailleurs dans le monde. Qu'apprendront-ils ? Que la liberté sexuelle des jeunes Européens crée des secrets de famille. La femme pleure de peur, l'homme agit les poings serrés, le second couteau assiste impuissant à l'action qui se déroule sans lui. On se croirait dans un film hollywoodien, cliché. Côté interprètes, Cruz passe donc 130 minutes à pleurnicher, Bardem à serrer les mâchoires pour gérer la situation, et Darín à se sentir dépassé. HEY, c'est vraiment dommage.
Alors ? Alors espérons que le film d'ouverture du festival ne soit pas à l'image de l'ensemble du festival, mais bien que le festival aille crescendo...