Freud rhabillé.
Fougueuse jeunesse qui parle massivement de sexe de façon nouvelle : polyamour, couple libre, fluidité de genre, expérimentation... Qui en parle, mais qui le pratique, surtout. La chose n'est pas neuve, mais on la croyait l'apanage des couples en fin de course ayant besoin de changements, de "piment". Le mouvement durable de questionnement et d'émancipation des cadres de pensée imposés par la société - qui consiste donc à décrypter et déconstruire l'inconscient collectif pour être plus libre de ses choix - trouve dans la sexualité un terreau qui sort des chambres à coucher et des magazines féminins pour prendre possession de la sphère publique. Les mouvements féministes et LGBT abordent depuis longtemps le sujet, leur parole semble enfin porter ses fruits grâce à internet : la jeunesse trouve un accès facilité à ses questions, une communauté où parler en toute sécurité, et s'affranchit au lit et en dehors des modèles inculqués sans trop réfléchir par leurs parents qui, eux, doivent encore faire leur éducation sexuelle tous seuls comme des grands, souvent dans la honte de chercher, d'en parler.
Alors que le sexe, c'est avant tout un terrain pour aimer, s'aimer, désirer, se désirer, jouir, faire jouir, se faire du bien, et rien que du bien - idéalement. Mais qu'il est dur - pour les garçons, surtout, nourris au porno de la pénétration sportive, conquérante, dominatrice - de sortir des sentiers qu'on croit les seuls possibles. C'est cette difficulté que dépasse la jeunesse, presque sans y penser.
C'est justement le sujet de Fluide, websérie portée par arte, adaptée de la bande-dessinée de Joseph Safieddine et Thomas Cadène par la réalisatrice Sarah Santamaria-Mertens.
Le pitch : Léo et Waël sont potes et créent des BD ensemble. Un jour, Emma, la copine de Léo, le bouscule avec une envie : elle veut coucher avec une femme. Sans Léo. Double transgression du pacte sexuel hétéro classique. Léo en parle à Waël, qui se sent soudain coincé dans sa sexualité, lui aussi. Les deux copains décident de raconter leurs expériences en BD. Mais voilà : les expériences, ce n'est pas toujours facile...
C'est bien ? Dans le propos comme dans la réalisation, oui. La série montre que ce n'est ni une obligation, ni toujours une réussite. Que le sexe est une activité basée sur le désir, pas sur l'image qu'on s'en fait, ou sur l'image qu'il nous renvoie de nous-mêmes. C'est drôle et intelligent. Mais surtout, sensible : oui, il y a de l'ego, du sentiment, et quelque chose de philosophique, d'anthropologique. Dans la veine des programmes d'arte, Fluide relève de la réflexion sur les questions dans l'air du temps.
La question de la fluidité de la sexualité - et de son corollaire immédiat, le genre - n'est-elle qu'une mode éphémère ? Pas si l'on considère que les questionnements et expériences de la jeunesse forgent les adultes accomplis de demain - bien au contraire. Loin de détruire toutes les représentations du sexe, la fluidité donne libre cours à l'imagination, au désir, mais surtout au choix, à la liberté de choix, à la liberté d'expérimentation. En se débarrassant des questions de représentations sociales archaïques (l'homme dominant, la femme soumise, le plaisir n'étant que masculin et performatif). Fluide enchaîne ses dix épisodes sur un ton simple, direct, sans longueurs, mais laisse à penser, donnant envie de se lancer. Malin.
Quelques liens :
- sur Têtu : Pourquoi il faut conseiller Fluide à tous vos potes hétéros ?
- Sarah Santamaria-Mertens sur FranceCulture : à écouter ici.
- Pour commander la BD de : chez ton libraire, ou en ligne.
- sur Konbini : On a parlé de la masculinité et de ses tabous.