Pauvre Victor.
2011 fut l'année où la France rendait hommage à l'Amérique en lui dédiant un The Artist qu'ils firent résonner dans tous les cinémas. 2013 sera l'année où l'Amérique rendra son hommage à la France, en adaptant à l'écran le musical Les Misérables, lui-même tiré du roman épique de Victor Hugo. Mais si Hazanavicius avait cherché le diable dans les détails en soignant à l'extrême son bijou en noir et blanc, que peut-on vraiment espérer des Américains (rappelons nous le sombre épisode des Three Musketeers de Stephen Herek - 1993) ?
I dreamed a dream in time gone by
Toi qui as bien évidemment lu le Hugo, tu me pardonneras ce résumé de l'intrigue : Jean Valjean sort de 20 ans de bagne avec l'envie de se refaire, mais il s'est fait choper sur une bêtise, et décide de recommencer une vie sous un autre nom, M. Madeleine. Dans sa nouvelle boîte, il y a Fantine, une fille-mère dont la fille, Cosette, est élevée en province. Fantine se fait jeter dehors pour une sombre histoire de méfiance, vend tout ce qu'elle peut, et y laisse sa peau. Valjean se décide à élever Cosette, va l'enlever chez les Thénardier qui l'ont tournée en servitude, tout en évitant l'inspecteur Javert qui le poursuit. Quelques années plus tard, Cosette s'éprend de Marius, un jeune révolutionnaire désembourgeoisé, alors que la révolte populaire gronde. Dans les barricades, Marius s'en sort grâce à Valjean, mais ses copains (Enjolras le fougueux, Eponine l'amoureuse, le petit Gavroche) y restent. Marius épouse Cosette, Javert puis Valjean disparaissent, et tout finit bien. Hugo a fait tenir tout ça dans 2000 pages (513 000 mots !).
When hope was high, And life worth living
La comédie musicale fait tenir tout ça en 2h30. Il faut quand même savoir que l'adaptation n'est pas le méfait des Américains, mais de Français. Alain Boublil et Jean-Marc Natel ont réussi à résumer le roman, et Claude-Michel Schönberg (un illustre inconnu, donc) y a apposé une musique symphonico-variét' assez réussie pour te rester dans la tête pendant des semaines. Tout ça devait cartonner au début des années 1980, mais il faudra attendre la traduction en anglais par Herbert Kretzmer en 1985 et la production dans le West End pour la chose devienne un carton qui, à ce jour, n'a pas quitté les scènes anglophones. Hollywood ne sachant pas louper un succès quand il y en a un, s'est donc mobilisé pour l'adapter sur grand écran... et c'est Tom Hooper, oscarisé avec Le discours d'un roi, qui a récupéré le projet. Côté distribution... y'a à boire et à manger.
L'histoire ? Quelle histoire ? Tout le monde la connaît.
I dreamed that love would never die
On n'entend parler que d'elle, et pourtant, elle disparaît au premier tiers du film (façon rockstar qui meurt à 27 ans) : Anne Hathaway a récupéré le rôle de Fantine, sans doute le plus tragique de tous. Âme pure (mère courage qui veut sauver sa fille), victime de la vilénie individuelle (celle du contremaître) et collective (celle de ses "camarades" ouvrières), tombée dans la fange, humiliée, outragée, Fantine est un rôle difficile. Tu liras partout les sacrifices physiques et psychologiques qu'Anne Hathaway a fait pour donner à son rôle son corps souffreteux, sa sensibilité à fleur de peau et ses expressions bouleversantes. L'Américaine a raflé une bardée de prix, tant sa prestation est saisissante, à l'image de ce plan séquence où elle chante en direct I dreamed a dream entre désespoir, colère et larmes... au point que la chanson - dont on ne se rappelait que la version Susan Boyle - sert de bande-annonce. Pfiou.
I dreamed that God would be forgiving
C'est donc un second rôle féminin qui marque le plus les esprits. (ndlr : il n'y a pas de premier rôle féminin...) Côté messieurs, on gardera Hugh Jackman en Jean Valjean et Russell Crowe en inspecteur Javert. Leur relation victime-bourreau tient le film en haleine, offrant à Valjean son aura tragique. Hugh Jackman nous révèle son petit grain de voix, et ses deux expressions faciales les plus réussies : la colère et la douleur. Sa prestation est assez passable ; il ne parvient pas à convaincre, d'une part parce que le rôle est écrit à la machette, le faisant passer d'un état à l'autre sans transitions, d'autre part parce que l'acteur est super mal filmé. De son côté, Crowe fait de son Javert un homme dur et fermé, pile dans le ton, crédible en diable. Si on lui reproche sa voix en dessous de la performance des autres, il donne, au contraire, une interprétation retenue, profonde, qui sied à merveille à son personnage austère. En cela, il surpasse un Valjean trop spectaculaire, trop démonstratif. Hugo pardonnera donc plus à Crowe qu'à Jackman.
Then I was young and unafraid
La floppée de jeunes pousses qui peuple la seconde moitié du film lui permet de ne pas s'essouffler. Il y a d'abord (et évidemment) Cosette, auréolée du tragique de son enfance chez les Thénardiers, qui donne à l'après Fantine son héroïne féminine, d'une part, mais aussi tragique : jeune, jolie, innocente, amoureuse, elle ne prend part à aucune action, mais ne vit que par son papa d'adoption (Valjean) et pour son amour (Marius). Jouée par une Amanda Seyfried plutôt transparente, on ne retiendra pas son personnage. Ensuite, il y a Marius (joué par un Eddie Redmayne tout en lèvres et en voix de fausset), pris en étau entre sa vocation politique et sa passion pour Cosette. On retiendra surtout une scène : celle de sa chanson Empty chairs at empty tables, ou il parvient à tirer quelques larmes, celle du militant qui a perdu ses camarades d'idéaux. Notons aussi la prestation d'Aaron Tveit, qui s'illustre en Enjolras, leader de la révolte, dont la scène de trépas reste une des pépites visuelles du film. Rajoutons une Eponine, fille des Thénardiers éprise de Marius, touchante d'humilité et de tristesse, jouée par une Samantha Barks vraiment à la hauteur, et un Gavroche (quand même !) choupinet et intrépide, joué par un Daniel Huttlestone vibrant et juste, jusque dans sa mort tout à fait poignante.
And dreams were made and used and wasted
Ce film est une plaie. De sa photographie façon Germinal à l'américaine (toute téléphonée) à ses décors ratés (la rue en carton-pâte, Notre-Dame pleine de pixels, la Bastille entourée de bâtiments londoniens) en passant par cette alternance caméra à l'épaule / travellings arrières en plongée... Le Tom Hooper du Discours d'un roi est bien loin. On se complaira à dire que le film est moche, très moche, juste éclairé par quelques images à la photo chiadée, comme évoqué plus haut. 2h30 d'un tel déplaisir visuel, c'est long, très long.
There was no ransom to be paid
C'est tout de même la musique qui nous tient scotchés au film. La comédie musical touchait à tout : balades, chansons chorales, sur tous les registres (espoir, amour, colère, etc.). On retient I dreamed a dream, Red and black, One more day, parce qu'ils contiennent les leitmotivs musicaux de tout le reste. Vocalement, ils tiennent tous la route, mais certains en font trop (Jackman, Redmayne), d'autres ont l'air ridicules (Bonham Carter et Baron Cohen en Thénardiers bien trop sortis d'un Tim Burton), la palme de la crédibilité revient à Hathaway (of course), Crowe et Huttlestone. Pour autant, je ne me jetterai pas sur le cédé de la BO.
No song unsung, no wine untasted
Alors ? Que c'est mauvais. Mauvais...