Le monde est stone.
David Cronenberg faisait l'ouverture de Cannes avec Cosmopolis, un semi-huis clos où Robert Pattinson interprète (avec un certain talent) Packer, jeune homme d'affaires. Le film ne
cherche pas la performance d'acteurs, mais plutôt la pertinence de son sens profond, à coups de situations symboliques. Le concret et le virtuel y jouent une danse macabre, qui mène peu à peu
notre héros à sa perte. Si, d'un côté, sa volonté anodine d'aller chez le coiffeur est perturbée par une manifestation anticapitaliste, la visite du président des Etats-Unis en ville et
l'enterrement d'une star du rap (3 éléments qui gênent son itinéraire en limousine, et repoussent son seul désir) ; de l'autre, toute son existence, basée sur l'argent (sa copine friquée, son
statut social, ses employés, sa collection d'art, la soumission de son quotidien à ses conditions de travail), tient à un coup de poker, et donc subit le danger imminent de l'échec. En deux
heures, l'ultraconfort d'un homme qui contrôlait tout est réduit à la peau de chagrin de sa réalité originelle.
Le film n'est pas le premier à décrier l'apathie général d'un monde dominé par la finance. Il n'est pas le premier à souligner par une esthétique ciselée l'inconcevable aveuglement des hommes qui
la portent. Le film est beau, sa construction raffinée et son interprétation magistrale (Pattinson, Binoche, Amalric, Giamatti...). Cronenberg a fait, avec Cosmopolis, un chef d'oeuvre
du genre, sans aucun doute.
Ce qui me parle, à moi, c'est
le lien entre la situation décrite dans le film et son titre. Cosmopolis. Ce n'est ni Orwell (1984) ni Plamondon (Monopolis). Le cosmopolitisme, c'est
cette théorie grecque selon laquelle on peut être né quelquepart mais se sentir appartenir au monde entier. En cela, Packer en est un bon exemple : il subit les affres concrètes du trafic de
Manhattan, mais vit de la finance mondiale (en spéculant sur le yuan). Le cosmopolisme antique partait sur deux axes de réflexion : d'une part l'idée qu'un même courant traversait toutes les
cultures (l'humanité / le fait d'être humain), d'autre part l'idée que cette humanité était justement faite de la diversité de toutes les cultures. L'oeuf ou la poule. Si l'on reprend la vision
des choses de Cronenberg, le capitalisme a mené toute une société - hommes et femmes - à renier une part de leur concret, à renier ce qui les inscrit dans la réalité de leur spatio-temporel, pour
se dissoudre dans un virtuel commun, dans la mondialisation. Le cosmopolitique a fait de l'homme un animal apathique, ayant dompté ses émotions mais pas ses pulsions (sexuelles, notamment).
Cosmopolis creuse son personnage principal pour mieux le décrire dans sa superficialité et dans la dureté de sa psychologie.
Cronenberg fait, avec Cosmopolis, le portrait non pas d'un capitalisme à la dérive, mais plutôt celui d'une humanité à la dérive.