La grossesse, quelle aventure.
Que les femmes se rassurent, pas de Laurence Pernoud ici. Pas de psychologie de comptoir non plus, même si la question de la mémoire foetale me passionne. C'est vrai, quoi : et si, dans notre inconscient, quelquechose s'inscrivait pendant notre gestation et revenait, l'air de rien, dans nos réactions primitives ? Oui, bon, ok, ok, j'arrête. La question de la grossesse, c'est un truc assez fascinant quand tu en discutes avec des femmes enceintes ayant trois neurones branchés (i.e. allant plus loin que "j'ai tout le temps faim", "ça appuie sur la vessie" ou "et si je l'appelais Pastourelle ?"). Qu'on soit un homme, une maman, une non-maman, les questions restent les mêmes, mais les réponses sont, évidemment, pas les mêmes. Faut avoir connu, ressenti, réfléchi, faut être restée à l'affût pendant ces 9 mois. Je crois qu'il y a un (ou plusieurs ?) état psychique et physique proche de la double personnalité, au cours de la grossesse.
Pourquoi je t'en parle ? Parce que deux films sont sortis, en peu de temps, sur cette question. Celle de la grossesse, de l'appréhension de l'enfant, de l'évolution de la mère, de la transformation de l'entourage. Le premier, c'est La Brindille, d'Emmanuelle Millet. L'autre, c'est Un heureux événement, de Rémi Bezançon.
# La Brindille #
Sarah a vingt ans. Elle est stagiaire dans un musée. Sa vie, elle commence petitement, mais elle commence, et Sarah, ça la motive. Un matin (ouhlala, attention, élément perturbateur), elle fait un malaise. A l'hôpital, elle apprend la nouvelle : elle est enceinte de 6 mois. Enceinte ? Un truc qu'elle n'envisageait pas. Qu'elle ne considère pas. Qu'elle ne comprend pas vraiment. Mais, clairement, c'est un truc qu'elle rejette : elle ne veut pas d'enfant, pas tout de suite, pas maintenant. Elle intègre une structure maternelle, et mène sa grossesse à terme. Pourtant, elle n'a pas l'air enceinte. Elle ressemble toujours à n'importe quelle gamine de 20 ans, en robe légère dans les rues de Marseille. Thomas tombe sous son charme. Et Sarah, sous celui du jeune étudiant en archi. Il y a Sarah, il y a Thomas. Et il y a Sonia, la directrice de la structure maternisée, qui lui rappelle qu'il y a aussi un bébé, dans cette histoire. Sarah, elle rejette ce bébé. Elle rejette tout ce que ça représente, tout ce que ça implique. Mais à la naissance ... aïe aïe.
Le film est peu bavard. Emmanuelle Millet filme le temps qui passe. Et pendant tout ce temps, rien ne touche au bébé, sinon les rappels de Sonia (génialissime grâce à Anne Le Ny) et les questions de Thomas (sensible et masculin, grâce au charmant Johan Libéreau). Parce qu'au delà du déni de grossesse, Sarah fait du déni de maternité, sans envisager la portée de l'aventure qu'elle mène. Le film ne parle donc pas du bébé. Il parle de Sarah (Christa Théret, prometteuse), mais Sarah ne parle pas, elle ne ressent rien pour l'enfant, elle ne s'en préoccupe pas. Bref le film traite d'une grossesse rendue invisible ... sans en parler. Et ? Ben, en dehors d'une photographie audacieuse (quoique, pas très innovante), le film tombe à plat, et se finit au moment où ça devient intéressant : lorsque l'enfant paraît (comme disait Dolto). Long et frustrant, donc.
# Un heureux événement #
Barbara fait une thèse en philo. Nicolas bosse dans un videoclub. Ils ont une histoire comme beaucoup de gens en ont : elle commence merveilleusement, elle continue bien, elle pousse, un jour, à dire "Je t'aime", elle comble, elle creuse, et un jour, l'évidence : un enfant comme symbole de tout ça, ce serait une sacrée idée. Et voilà Barbara enceinte. Elle le sait. Elle est contente. Heureuse, avec Nicolas. Ca change, la grossesse, ça interroge. Le rapport à l'autre, à l'amour, à la famille, au temps, au passé, à l'avenir : tout change. La préparation à l'accouchement, la préparation de la vie à trois, et puis, et puis ... et puis le corps de la femme, ce temple de l'amour qui devient habité, qui décide soudain pour le reste, qui change aussi, souffre, se détend, se déchire, se recoud, se montre, se transforme à jamais, pour la femme elle-même, et aux yeux de l'homme. Car une mère n'est pas qu'une mère. L'arrivée de l'enfant, c'est une autre vie avec d'autres partenaires, d'autres considérations, d'autres centres d'intérêt ... Et les amis ? Et l'amour ? Et le sexe ? Et la famille ? L'enfant, aussi chérubinesque soit-il, est envisagé dans toute la place qu'il prend, dans tout l'amour qu'il donne, dans tout le sacrifice et l'abandon qu'il nécessite.
Ce film-là, c'est un bon film. S'il est parfois cliché dans ses partis pris, il n'est jamais à court de renouvellement : blagues, jeux de mots, événements, dialogues, actions, instants suspendus, qu'ils soient positifs ou négatifs, le spectateur est entraîné dans l'océan des moments d'une grossesse désirée, vécue à 100%, et menée de main de maître par un Bezançon (à qui on doit Le premier jour du reste de ta vie) dont le talent derrière la caméra excuse proprement les errances du scénario, tantôt hilarant, tantôt déprimant. Saluons, quand même, les quelques personnages clé : Barbara, à deux doigts de la double personnalité, incranée par une Louise Bourgoin toute en expressivité simple et en beauté chaleureuse, Nicolas, l'homme viril et beau, borné et fier, incarné par un Pio Marmaï au charme torride et à l'expressivité incroyable, Claire, la mère démissionnaire de Barbara, hilarante et désabusée grâce à Josiane Balasko, et Katia, la mère possessive et envahissante de Nicolas, hilarante aussi, grâce à Gabrielle Lazure. Vraie comédie, au goût pourtant doux-amer, Un heureux événement a vu les critiques se déchaîner en faveur d'une Louise Bourgoin très très à l'aise. Donc ... agréable à regarder. C'est ce qu'on lui demande, non ?