La justice souffre d'une crise de confiance.
La justice devrait être l'institution qui nous assure que rien ne sera fait contre nous sans que la loi, la vérité et le bon sens ne soit ignorés. La justice, c'est l'assurance que le faible soit aussi choyé que le puissant, que le mal soit puni, que le droit individuel et commun soit respecté dans son adaptation concrète. La justice, donc, devrait être rassurante. Le problème, c'est que l'on confond l'idée et ceux chargés de la représenter. On confond ainsi les juges avec la justice comme on confond les prêtres avec Dieu : l'homme est faillible, le principe est parfait. On peut donc réclamer une justice parfaite, mais il faut se rendre à l'évidence, appliquée par nous, elle ne le sera jamais.
Pour autant, si l'erreur judiciaire est possible, il faut qu'elle soit reconnue et réparée. C'est là que le bât blesse. Je ne dis pas ça parce que l'on est face à des exemples honteux de justice à deux vitesses, celle du peuple et celle des puissants, mais parce que l'honnêteté et la moralité la justice semblent être devenues des questions clefs dans nos esprits, au point que les cinéastes s'en emparent de plus en plus. Si les Américains font davantage dans le reportage (Fahrenheit 9/11, Cleveland contre Wall street, ...), les Français (au sens large) font dans l'émotionnel, dans les procès subjectifs où l'humain sensible est broyé par le système impitoyable. La justice doit-elle prendre en compte l'émotion, les valeurs et/ou les faits seuls ? Vaste question, soulevée par deux films qui te dégoûtent un peu du système judiciaire et de la morale de ceux qui l'appliquent, deux films sur des affaires scandaleuses, sortis cette année ...
Omar m'a tuer // Présumé coupable
Deux films frères. Deux films sur les limites de la justice et sur le bafouement de la présomption d'innocence par une justice partiale. Deux films sur des vies détruites par la violence de la vindicte judiciaire, médiatique et (donc) populaire. Deux sales histoires bien connues du public, qui ignore souvent les conséquences réelles pour ceux qui ont vu leur monde s'effondrer. Deux films qui te mettent en colère.
Le premier, Omar m'a tuer, de Roschdy Zem, sorti en juin dernier, reprend l'histoire d'Omar Raddad, jardinier maghrebin écroué en 1991 parce qu'accusé d'avoir tué son employeuse par une inscription sur le lieu du crime et condamné sans preuves irréfutables à 18 ans de prison en 1994, grâcié et libéré en 1998 sans avoir été blanchi par la justice. L'enquête y est présentée comme bâclée, à charge contre un Maghrébin dans une région où la xénophobie est forte, et le verdict de la justice est montré comme vicié. Sami Bouajila donne ses traits et sa finesse à un Omar innocent, perdu dans un monde qu'il maîtrise mal (celui des mots), désespéré par la violence de l'institution judiciaire et par l'affront fait à son honneur. Roschdy Zem fait de l'histoire d'Omar Raddad un réquisitoire contre la partialité des juges et des enquêteurs, un appel au bon sens et à l'indignation, un rappel de la nécessité de respecter la dignité humaine et de chercher la perfection de la justice. Le spectateur, devant un destin aussi injuste, tel qu'il est présenté, ne prend pas forcément le parti de Raddad, mais prend celui de Bouajila, et ne peut qu'entrer en guerre contre un système imparfait.
Le second, Présumé coupable, de Vincent Garenq, sorti en septembre, rappelle l'histoire d'Alain Marécaux, huissier de justice, mis en examen en 2003 avec 17 autres adultes pour viol sur mineurs dans la région d'Outreau, suite à dénonciation par des enfants soutenus par les parents, condamné à 18 mois de prison en 2004 pour attouchements sur son fils, et finalement blanchi en 2005 après que la justice ait reconnuu avoir commis une effroyable erreur judiciaire. Ici aussi, l'enquête est présentée comme à charge, le juge étant obnubilé par l'impossibilité qu'un enfant mente sur des faits aussi graves, par l'impossibilité que des parents mentent en appuyant les dires de leurs enfants qui les accusent de les avoir violés. La violence policière, l'impossibilité d'agir contre un juge entêté (même en connaissant la loi, puisqu'il est huissier), les conditions abjectes de la détention et le silence dans lequel l'accusé est tenu, la destruction progressive de la vie discrète d'un homme qui doit renoncer à sa liberté, puis à son boulot, à ses biens, à sa femme, à ses enfants, à sa famille, et qui retrouve la liberté en n'ayant plus rien ... plus rien que la terreur, la colère, les regrets face à un appareil judiciaire qui ne sera même pas puni. Torreton, dont la qualité de jeu n'est plus à prouver, donne une interprétation de Marécaux absolument incroyable, vertigineuse, saisissante, qui te laisse le ventre déchiré par la haine d'hommes qui ne reculent devant rien quand il s'agit d'humilier un homme que l'on croit coupable. Le tout est servi par Garenq dans un film sans concession, comme un rappel que l'enfer est pavé de bonnes intentions.
Deux films frères, donc. Deux films qui me rappellent ce mot de Montesquieu dans L'esprit des lois : "La justice humaine, qui ne voit que les actions, n'a qu'un pacte avec les hommes, qui est celui de l'innocence." Un pacte que la partialité de certains juges, qui ne restent que des hommes, fait parfois oublier.