Plus qu'une bombe.
Hiroshima n'était, pour moi, qu'une date, un 6 août 1944 sorti d'un cours d'histoire, un fait inséré entre deux autres, entre la Shoah et l'Indochine, un monceau de morts et de conséquences politiques - le regard froid que le cynisme de l'individualisme, la masse d'informations et six décennies ont imposé à notre génération.
Guillaume Gallienne avait lu quelques extraits de Duras, un matin, sur Inter, avec Michael Lonsdale. Leurs voix, l'une sonnée et suave, l'autre rauque et rude, sur les mots d'Hiroshima mon amour. Là, j'ai tout arrêté, Tu me tues. Tu me fais du bien., j'ai cherché où poser mon regard, J'ai le temps. Je t'en prie., me suis croisé dans le miroir, Dévore-moi., en quelques phrases, j'étais pris à la gorge. Déforme-moi jusqu'à la laideur. Le plaisir des mots...
L'un expliquant l'autre, le film de Resnais était projeté en version restaurée dans quelques cinés. Et me voilà, en jolie compagnie, devant Emmanuelle Riva et Eiji Okada qui parlent d'amours fugaces, de l'Amour, d'histoires et d'Histoire - Hiroshima plus vivante que jamais, plus morte que dans les livres de lycée.
Ecoute-moi, ça recommencera : 200 000 morts, 80 000 blessés, en 9 secondes, ces chiffres sont officiels. Ca recommencera, il y aura 10 000 degrés sur la Terre, 1 000 Soleils dira-t-on. La tragédie soudain dans toute sa vérité. Froide comme les chiffres, comme les stratégies qui coupent le but idéel de sa vérité concrète. Brûlante comme sa vérité que l'on dessine, spectateur, auditeur, lecteur, l'effroi qui te parcours soudain. Une ville entière qui est soulevée de terre et qui retombe en cendres. Des corps qui se relèvent de ce bain de cendres. Fascinante image, abominable intelligence humaine qui en est responsable.
Je t'oublierai, je t'oublie déjà, regarde comme je t'oublie, regarde-moi ! La réflexion sur la mémoire est captivante, entre ce qu'elle conserve intact, ce qu'elle écrase à jamais, ce qu'elle réinvente. Et nous voilà, face à nos souvenirs. Et ces gens disparus que l'on a aimés, parfois jusqu'à la folie, où sont-ils, désormais, si l'on ne peut faire confiance à nos mémoires ? Hurler "je t'aime !", pleurer parce qu'en effet, on a oublié, déjà.
Plus qu'une bombe. Les mots simples des situations indicibles de Duras, la beauté de Riva, la finesse d'Okada, le noir et blanc suave et ennuyeux de Resnais.
Hiroshima venait de m'exploser en pleine figure. Ca m'a secoué près d'une semaine.