C'est fort en chocolat.
Après avoir lu - en diagonale - le hors série "Mythes Grecs" de Philosophie Magazine (et quelle ne fut pas ma surprise de voir le ton joueur et intelligent de la rédaction, moi qui pensait à un truc lourdingue et sentencieux), je me sentais constamment entouré de Damoclès, Antigone, Oedipe, Midas ou Pandore, ne manquait plus qu'un temple à fronton (et non, l'église de la Madeleine ne fait pas l'affaire)(mais le Panthéon, par contre...) et un peu de harpe entre deux types en toge.
Autant dire qu'en tombant, hier soir, sur Le Choc des Titans (Clash of the Titans - 2010), une vision assez spéciale de l'histoire de Persée (et un remake du film de Desmond Davis - 1981), je me suis installé en me disant "hop, c'est comme un film de famille". Et pourtant, je me demandais déjà quel était le lien entre les Titans et Persée. Ce n'était que le début d'une LONGUE série d'incohérences mythologiques, mais comme à chaque fois avec les films historiques, on se fout bien dans la veracité historio-mythologique tant que les héros sont beaux et que les dieux sont puissants.
L'idée est là : Persée est demi-dieu, issu de Zeus, façon brave-garçon-qui-veut-que-le-bien-triomphe. Son ennemi, c'est Hadès, qui a tué sa famille et veut détruire Argos en y envoyant le Kraken, sauf si la ville livre Andromède, la princesse. Persée rejoint l'équipe qui part chercher une solution pour éviter de perdre la belle, ils croisent les Grées, Zeus, Hadès, Persée se retrouve seul pour mater Méduse, revient à dos de Pégase pour sauver la miss, pétrifie le Kraken, et part avec Io vivre heureux.
Le JT de 20h devait être marrant, à l'époque.
Le premier intérêt de ce film, c'est la pluie de stars. Comme Troie (2004) avait brillé par l'apposition de Brad Pitt, Orlando Bloom, Eric Bana et Diane Kruger, Le choc des Titans réunit Liam Neeson, Ralph Fiennes, Mads Mikkelsen, Gemma Arterton et surtout Sam Worthington. Ils sont pas tous archi-connus, mais ont tous fait du chemin dans le ciné (Mads et Gemma, surtout) ou dans les fantasmes worldwide (Sam, call me !). Je dis "premier intérêt" parce que 1) ça va m'éviter d'aller voir d'autres films avec ces gus, qui sont pas tous mon genre, mais je pourrai quand même dire "J'l'ai vu dans le Choc des Titans" et que 2) c'est la raison pour laquelle j'ai commencé à regarder.
Le deuxième intérêt, c'est de chercher les incohérences. Parce qu ec'est drôle, et qu'on a tous fouiné dans les bouquins de mythologie quand on était mômes. Mais si, ça venait juste après la phase dinosaures. Bref. Lien avec le mythe, donc. Tiens, par exemple, ça s'appelle "le choc des Titans". Les Titans, en mythologie, sont les divinités primordiales qui ont précédé les dieux de l'Olympe. Or, ils n'apparaissent pas dans le scénario, ni à l'écran - ça joue juste sur les mots "un choc de titans". M'enfin. Autre exemple effarant : que fout Io dans cette histoire ? Dans le mythe, elle ne croise jamais Persée, et là, bim, elle est sa meuf. Pourquoi elle et pas une autre (parce qu'il y en a un paquet, de meufs, dans l'histoire de Persée) ? Bonne question. Encore un ? Le Kraken est un monstre, c'est vrai... mais de la mythologie médiévale. Et pas grecque, non : scandinave. Lol. Je te passe les trucs du genre "en vrai c'était pas à Argos", "Pégase naît du sang de Méduse, pas avant", "à la fin, ils deviennent tous des constellations", tout ça...
Mais bon, le vrai de vrai intérêt, c'est que sous ses airs de gros blockbuster au scénario light, à effets spéciaux et à cascades improbables, le Choc des Titans se défend bien : interprétations crédibles, photo chiadée, montage sans longueurs, effets spéciaux réussis, manichéisme de bon aloi, et explicitation de ces mythes grecs qui sont décidément partout. Moi ça m'a aussi rappelé des souvenirs d'enfant, quand j'avais vu sur M6 le Choc des Titans version 1981. Les effets spéciaux ont fait du chemin...
Comparaison de LA scène qui rend Persée célèbre : 1981 vs 2010.
Tout ça pour dire quoi ? J'en suis venu à me demander, à l'aune d'Hercule et ses travaux (irréalisables en apparence), d'Oedipe et de son complexe (maman, je t'aime), d'Achille et de son talon (la petite faiblesse qui vous perdra) ou encore de Pandore et de sa boîte (la curiosité est un vilain défaut), quelle serait la place de Persée dans nos mythologies modernes. L'analyse de Philippe Kellerson - un thésard, rien que ça - met en avant la notion de rite sacrificiel pour devenir chef : Persée, en tuant Méduse, prouve au monde qu'il peut être roi. Mais en la tuant, il fait le sacrifice de l'ego : par le biais de l'identification du bourreau à sa victime, dont il tranche la tête mauvaise, il sacrifie sa propre ambition, et promet donc abnégation et responsabilité.
On pourrait donc dire d'un fait politique qui coûte son humilité à celui ou celle qui le porte qu'il s'agit de sa tête de Persée. Si, on pourrait. C'est bien comme ça qu'on a réutilisé, avant, les mythes grecs pour en faire des lieux communs.