Le paradoxe.
Partons du postulat que si l'Homme naissait mauvais, le bien n'aurait pas d'origine, et on passerait notre vie à se faire du mal, puisqu'on ne connaîtrait que ça. (Dépressifs de tous les pays, détendez-vous, c'est pas là que je veux en venir.) L'Homme naissant donc globalement bon, mais, d'après Rousseau, étant perverti par la société par le truchement des règles du bien-vivre-ensemble qui excluent des comportements et des idées, par précaution, par principe moral ou au nom de Dieu, pourquoi devient-il méchant (dans le sens sectaire-intolérant-tyrannique) ?
Sans doute parce que si on lui inculque les règles, on ne lui explique pas leur fondement, leur raison d'être. Avec la violence comme moyen de répression en cas de désobéissance - qu'elle soit domestique (la gifle, cette incontournable) ou civique (la prison, cette grande oubliée). C'est ainsi qu'on enseigne involontairement l'intolérance aux enfants, qui, en grandissant, la cristallisent, sans savoir pourquoi, sans se/la remettre en question. J'étais sidéré par le contenu des programmes scolaires en Israël et en Palestine : le programme d'histoire inculque la guerre comme mode d'appréhension de l'autre légitime. Qui viendrait le remettre en question, là-bas ? Personne. Et en France ? Tout le monde (suffit de voir le tollé sur la question d'enseigner les méfaits du colonialisme). En grandissant, le petit Palestinien et le petit Israëlien cristallisent l'image du mauvais voisin pour en faire l'ennemi intime. Et ça dure depuis 1948.
Sans aller jusque là, je peux te trouver un autre exemple. J'étais anim' en colo, il y a quelques années. J'étais chef d'une chambrée de 6 garçons entre 6 et 9 ans. Une nuit, l'un d'eux vient me réveiller pour me dire que deux de ses camarades se battent. J'y vais : un des mômes, 6 ans, s'était levé dans son sommeil pour pisser sur un de ses camarades de chambrée. Pourquoi ? "Les Noirs, j'les aime pô." Comment, à six ans, peut-on avoir eu une telle haine pour tout une caractéristique physique ? Que connaît-on des Hommes, à 6 ans ? Après discussion avec l'un et l'autre, il ressortait bien que notre petit pisseur avait été éduqué à grands coups d'intolérance crasse. Et que, pauvre bonhomme, il n'avait pas les armes pour comprendre l'étroitesse de son jugement.
Evidemment, c'est plus facile à vivre, ce racisme (pas très) ordinaire, quand on est du bon côté de la kalashnikov. Homme, blanc, valide, hétérosexuel, riche, marié, père - chez nous. Mais tout le monde n'a pas tous les critères, en en Occident, tu deviens vite méprisable, s'il t'en manque un. J'ai longtemps écouté d'une oreille distraite le débat sur le mariage pour tous, mais je suis tout de même saisi de vertige. D'une part, le discours pro- : juridique, concret, quotidien, quasi-plat, mais habité par un seul idéal - l'égalité de tous devant la loi, sans discrimination. De l'autre, le discours anti- : moral, psychologique, inquiet mais ferme, habillé de tout un tas d'arguments contestables parce que subjectifs - la tradition, la religion, le principe de précaution. Et j'essaie d'être objectif.
Bien sûr, c'est difficile de se dire que le mode de vie qui est le sien n'est pas forcément le seul valable. C'est dur de se remettre en question en faveur de gens qui sont, par ailleurs, présentés comme un peu déviants, comme un sous-groupe... comme des sous-humains. On se dit qu'on a la vie qu'on a, pas forcément merveilleuse, mais pas mal, qu'on a respecté des règles, obéi à des impératifs, on a fait contre mauvaise fortune bon coeur et puis... un jour, quelqu'un déclare qu'il y a désormais une autre possibilité ? Qu'en fait, on aurait pu faire autre chose, mais c'était mal vu, et finalement... finalement, c'est normal ? Finalement oui, c'est normal.
C'est dur d'en venir au constat que l'homosexualité - qui n'est pas un choix, sinon celui de l'assumer au quotidien - n'est rien d'autre qu'une pratique sexuelle entre deux humains adultes consentants. Je suis saisi de vertige, disais-je, tant le discours contre le mariage-pour-tous véhicule d'émotivité (mépris, dédain, dégoût) et d'erreurs argumentaires contre une simple pratique sexuelle. Les homosexuels ne sont ni meilleurs, ni pires que les autres. Ni plus beaux, plus forts, plus riches, plus intelligents, plus sensibles, ni meilleurs amants, parents, enfants, patrons, employés, ou ce que tu veux, que les autres. Simplement, ils couchent avec des gens de même sexe. Ils ont les mêmes perversions, les mêmes idéaux, la même culture générale, le même vécu et les mêmes rêves d'avenir que les autres. Ils font les mêmes progrès et les mêmes erreurs que les autres. Pourquoi leur interdit-on la possibilité de les faire, ces progrès et ces erreurs, dans le cadre du couple et de la parentalité ? Au nom de quoi ? Parce qu'il n'est pas question de donner PLUS de droits, juste faire en sorte que tout le monde ait LES MEMES. C'est ça, le vrai sens de l'Egalité, dans notre devise : l'égalité devant la loi.
Dès lors, dans le cadre du mariage et de l'adoption, pourquoi refuse-t-on aux homosexuels le droit de faire des progrès et des erreurs, et pourquoi l'accorde-t-on aux autres - parents isolés, célibataires, stériles, divorcés, etc. ? Pourquoi les homosexuels feraient-ils plus d'erreurs que les hétérosexuels ?
C'est à se demander si, au fond, l'Homme n'est pas mauvais. S'il n'est pas constitué d'un truc qui le rend méfiant, haineux, asocial,... misanthrope. Ca vient peut-être des gènes, du sang ou... de l'immémoriel héritage commun.