Haters gonna hate.
A quoi ressemble une année de cinéma ? Chaque semaine, une quinzaine (en moyenne) de films tous neufs sortent sur grand écran. Et la télé nous abreuve d'une centaine supplémentaire, au choix. Chaque année, les mêmes rituels qui orientent les choix : une bande-annonce, une affiche, un titre, une sélection en festival, un prix quelque part, une histoire, un interprète, un réalisateur. Tout, n'importe quoi.
Conséquence directe : il y eut des surprises. De bonnes, comme ce We are your friends où l'espéré divertissement-avec-Zac-Efron s'est muté en bon film initiatique simple mais intelligent dans un maelstrom musical electro séduisant. De mauvaises, de Deephan à Macbeth en passant par The Lobster : sélection cannoise où éclate la maestria technique qui frôle parfois le chef d'œuvre esthétique, desservie par le sincère ennui des scenarii - ici bancal, là fouillis ou malhonnête.
Et quitte à clamer l'honnêteté, pour cet article il aurait fallu la quantité. Beaucoup plus. Sur même pas 50 films vus cette année (voir la liste), quelle représentativité ? L'on pardonnera à ce top 10 de manquer d'épaisseur ; il n'y faudra voir qu'une série de coups de cœur, d'excitants cérébraux, d'objets ravissants, de conseils avisés - tout pour que tu puisses me contredire.
1. Les films pour intellectualiser
Pour me lire, tu me connais : j'aime les films à métaphores, à sous-texte, à parallèles avec la vie, les films qui font des correspondances intrinsèques, portent des messages empirico-transcendentaux, instillent un poil de philo ou une fraîche rasade de symboles étalés en gros ou en petit sur l'écran.
2015 en aura apporté deux sublimes : le Birdman d'Alejandro Gonzalez Inarritu et le Lost River de Ryan Gosling. Le premier renvoie Broadway et Hollywood face à face dans leur guerre stylistique par le truchement d'un homme qui cherche à noyer son succès passé sur grand écran dans une pièce raffinée sur les planches new-yorkaises ; le tout avec, en trame de fond, la vie qui n'arrête jamais, et, visuellement, un faux plan-séquence unique qui laisse quand-même un peu la bouche bée. Le second, délire pictural d'un trop bon élève du cinéma arty-cool de ces dernières années, est une fantasmagorie kafkaïenne sur ce que l'on hérite de la société qui nous construit, entre non-dits et instincts.
Pour ouvrir la sélection, je rajouterai le film à clefs Youth, petite thèse sur le cinéma de Paolo Sorentino, et le naïf Contes italiens des frères Taviani, pastorale gourmande sur l'amour adulescent des livres d'antan.
2. La musique, c'est la vie
Pour un film, c'est même vital. S'il peut s'en passer, il ne peut pas la foirer : une mauvaise musique tue un bon film, tout comme un film peut être sauvé par sa bande originale (Eden, de Mia Hansen-Love (2014), par exemple). Parce que la musique est cette force qui guide nos pas, les films qui mettent la musique au coeur de leur intrigue se lancent le défi de ne pas se foirer, parce que la musique touche l'âme, parce qu'elle est la vie.
Trois films ont retenu mon attention cette année, pour trois intrigues très différentes : une destinée d'un génie, un dépassement de soi, une conquête de l'osmose parfaite. Le premier, Love and Mercy (Bill Pohlad), dessine les (més)aventures du fabuleux Brian Wilson sur deux âges de sa vie, dans une construction visuelle et sonore fascinante, solaire, tout simplement orgasmique. Voir l'article. Le deuxième, Whiplash (Damien Chazelle), suit l'affrontement du maître et de l'élève dans la conquête du talent par la technique (ou l'inverse), dans un thriller un peu facile, mais aux soli de batterie désarmants de puissance. Le dernier, guilty pleasure de la liste, est We are your friends (Max Joseph), dans lequel j'ai vu, au delà du teenage movie où Zac se lance dans la zic', un joyeux plaidoyer sur "la musique (électro) réunit les gens", captivant au possible.
3. Total experience
Plonger dans un film comme dans une piscine. Tu te souviens bien avoir commencé un film (une série ?) qui déroule, lentement mais sûrement, une ambiance gagnant un par un tous tes sens, jusqu'à contrôler ta pensée et influer sur tes fonctions corporelles. Mon exemple criant : je suis sorti blême et essoufflé de Buried, 90mn enterré vivant avec Ryan Reynolds.
Trois films (encore) qui créent ce panorama sensoriel complet, au point que le générique t'est un brutal rappel à la réalité. Un français, L'affaire SK1 (Frédéric Tellier), le polar émotionnel à la poursuite de Guy Georges, où l'on se glace, tremble, pleure, bouillonne, soupire de soulagement. Voir l'article. Un australo-américain, Mad Max : fury road (George Miller II), infernale merveille d'imagerie de métal et de poussière, de rage et d'espoir, de corps surnaturés et d'esprits enfiévrés.Voir l'article. Un franco-mauritanien, Timbuktu (Abderrahmane Sissako), qui tisse une humanité face à son irrémédiable (en apparence) jumeau maléfique fanatique, dans un climat de sable et d'éternité sereine. Voir l'article.
4. Pépites
Parce que tous les films ne peuvent pas être parfaits en tous points, mais que beaucoup se distinguent par un aspect ou deux, j'ajoute un petite section pour te suggérer, si ce n'est déjà vu, quelques bons morceaux de ciné devant lesquels t'asseoir.
Dans les films qui donnent la pêche, tu peux te jeter dans les salles obscures pour 21 nuits avec Pattie (Arnaud et Jean-Marie Larrieu), où les rôles féminins sont fascinants, qu'il s'agisse de la franche Pattie (Karin Viard, au sommet) ou de la réservée Caroline (Isabelle Carré, notre oeil ingénu). Tu veux rire à gorge déployée mais devant un truc un peu moins borné que d'habitude ? Jette-toi sur Spy (Paul Feig), une comédie d'espionnage quasi militante qui ringardise OSS 117 et Austin Powers, avec une Melissa McCarthy qui fait la nique à tout ce qu'elle peut. Pas envie de la jouer féminisme, juste envie de WTF ? Ben pourquoi, c'est bien, le féminisme, tu sais ? Pour le WTF, je te conseille l'école almodovarienne avec le bordélique Les Nouveaux Sauvages (Damian Szifron), ensemble de courts-métrages qui explose tout sur son passage.
Ultimes coups de projo avec une exceptionnelle Jennifer Aniston dans un rôle difficile (Cake, Daniel Barnz), une comédie romantique française un peu réussie (Toute première fois, Noémie Saglio & Maxime Govare), ou la poésie douce-dingue des soeurs Philippon dans Les bêtises (avec les jolis Sarah Giraudeau et Jérémie Elkaïm).
Concluons.
Qu'il soit made in France ou américain (le plus souvent, par chez nous), ponctuellement iranien, grec, britannique, japonais, marocain, belge, italien ou argentin, le cinéma est le lieu de l'utopie, de altermondialisme, de la téléportation, des mondes parallèles et des univers intérieurs - le lieu de la découverte de l'autre, de l'apprentissage de soi.
Avec les théâtres, les cinémas sont les garants de nos esprits.