Vaut mieux l'avoir en photo qu'à table.
La télé est le meilleur marchepied des humoristes, et On ne demande qu'à en rire n'était que la grosse-machinisation du concept, Ruquier étant le saint patron cathodique du renouvellement de l'humour pour les Blancs (Jamel Debbouzze, cœur sur toi). Si Canal+ a permis au jeune Vincent Dedienne de faire exploser le kiffomètre des Français, c'est bien encore Laurent Ruquier qui a lancé le petit en produisant vraiment son premier seul en scène, S'il se passe quelque chose (2012 ?). L'exercice est un passage obligé, et doit répondre à la question "Doit-il faire sur scène comme à la télé ?" - la plupart de ses prédécesseurs ayant répondu oui, quitte à adapter l'écriture, avec plus ou moins de succès. Et bien pas lui. Le génie est inconstant, c'est là son seul véritable défaut.
C'est quoi ? C'est là le cœur de la pièce de Dedienne : pièce autobiographique, one man show ? Lui-même hésite, questionne, révèle les preuves de l'un, de l'autre, s'en amuse, souligne la dramaturgie (même erratique), et dessine, en creux de son histoire et de ses obsessions (sujets apparents des scènes) un rapport complexe à la scène, entre illégitimité ressentie (et parfaitement illégitime, justement, puisqu'il y est sublimement à l'aise en apparence) et désir pugnace (qui semble dicter l'écriture, avec ce qu'il faut d'indomptabilité). Alors c'est quoi ? Un seul en scène, où le fraîchement trentenaire raconte d'où il vient et ce qu'il rêve de faire sur une scène, mêlant fond et formes.
C'est bien ? Si tu viens avec l'envie d'y retrouver le Dedienne hilarant du Supplément ou de Quotidien, tu vas être déçu-e : lâchant sa filiation stylistique avec Muriel Robin, le garçon développe une narrativité et un style personnels qui est plus de l'ordre du règlement de compte grinçant que de la désopilance-à-chaque-phrase. L'évocation de sa prime enfance plonge le public dans le silence, frappé d'hébétude plus que dans le rire : l'histoire est effroyable, le ton pince sans rire, le décalage peu risible. On le pensait plutôt bienveillant avec le passé - à l'instar de la séquence culte avec Muriel Robin dans Quotidien (à partir de 7'23) - que nenni : il est sans pitié. Adolescence, écriture, école de théâtre, Pôle Emploi, monde du spectacle, famille, amours, patrie : tout y passe, avec panache. Pour autant, son attitude et son flegme n'ont pas disparu, et le rire trouve d'autres façons de faire son chemin : sketches, expressivité, niveau de langue, autodérision... Alors on ne se gondole pas autant que devant sa télé, mais l'on sourit beaucoup, parce qu'il déborde de cette tendresse et de cette belle humilité qui sont la marque des gens qui laissent de bons souvenirs.
Alors ? Alors, bien sûr, il faut voir le spectacle pour se faire une idée (et ça se termine bientôt). Mais hélas, on n'aura pas le plaisir de rire pendant 90 minutes à cause de lui, et ça, c'est déjà presque une raison de le ranger à côté de Gaspard Proust et Stéphane Guillon - aka la ligue des gens plus drôles en format court à la télé qu'en long sur scène.