Ma mère, ce héros.
Juive ou italienne, absente ou envahissante, adorée ou crainte, vieillie ou éternelle, retirée ou fantasque : la mère, vaste débat, je ne reviendrai pas dessus. La mienne, c'est une histoire pas banale, puisque c'est la sienne. Frustrée, sans doute, de n'avoir pas pu se réaliser, elle a porté sur ses rejetons toute son ambition, à la hauteur de ce qu'elle sentait de leur potentiel. Mon fils sera ambassadeur de France ! Sciences-Po, la Sorbonne-tu-sais-la-fac-prestigieuse, Paris-capitale-du-monde, l'agrégation, un bel appartement boiseries-parquet-cheminée : elle en a cultivé un paquet, des rêves en mon nom. Mieux : elle a tracé toute ma vie dans sa tête. Tu devrais écrire, tu as du talent ! Le courage de la décevoir, d'échouer, de tracer une route différente. Et puis, un jour, accepter.
Le Petit Saint Martin, c'est tout petit, c'est en sous-sol, et ça sonne un peu comme "un Saint-Martin au rabais". En vrai, c'est un théâtre flambant neuf, avec une petite jauge où on a la place de mettre ses genoux. La scène est même plutôt grande, et bien équipée, ce qui en fait, sans doute, l'endroit idéal pour parler intimement et ouvertement de soi... et de sa mère. C'est Bruno Abraham-Kremer qui a eu l'idée de tenter quelquechose, lui le fondateur du Théâtre de l'Invisible, touche-à-tout du théâtre à la télévision en passant par le cinéma, d'Albert Camus à Selena Gomez en passant par Zabou Breitman. Il a eu l'idée d'incarner pour transmettre Romain Gary en adaptant (avec Corinne Juresco) La promesse de l'aube.
L'histoire est là : Romain, de Wilno (Pologne) à Nice, en passant par Varsovie, Paris, Londres, la guerre, l'aviation, la littérature. Une confession extime, sans fausse pudeur ni réelle complaisance, mais bourrée d'amour, celui d'un fils face à sa mère, celui d'un fils pour sa mère, celui d'une mère pesant sur son fils. Les rêves d'une vie meilleure projetés, la vérité de la réalité, le doux mensonge pour soulager l'angoisse. Du texte de Romain Gary, grand raconteur, il ressort une poésie du quotidien, une ribambelle d'anecdotes, mais surtout, en filigrane, ce lien invisible qui relie la mère à l'enfant. Dans le corps et l'esprit de Bruno Abraham-Kremer, qui se sent proche de ce texte parce qu'il est proche de sa vie, les mots de Gary prennent une résonnance toute en nuances, sentencieuse et légère, passionnée et réfléchie. Une vraie merveille.
La mise-en-scène est plutôt dépouillée : la scénographie de Philippe Marioge impose une scène dépouillée, un grand rideau translucide au fond, des caisses en arc de cercle, un grand terrain de jeux qui devient, tour à tour un lit, un pupitre, ou un cockpit. L'éclairage est travaillé, créant les ambiances intimes ou grandioses, des projections aquatiques ou aériennes soulignent l'ensemble. La musique jazzy, parsemée de bruitages, vient faire enfler ou calmer les émotions qui se dégagent de cet acteur d'exception. Un grand moment.
Le résultat ? Fonce, je te dis.
La promesse de l'aube
un texte de Romain Gary
avec Bruno Abraham-Kremer
à partir du 12 janvier 2012
Théâtre du Petit-Saint-Martin
(Paris - M° Strasbourg-Saint-Denis)
mardi-samedi 20h45
Info/Résa : 01 42 02 32 82