Classique is not dead.
Comme tout ce qui possède une étiquette, une règle stricte, une image de rigidité, la danse classique est sujette au détournement dans les règles de l'art, c'est-à-dire à l'humour, à la frivolité, tout en conservant la même exigence, à l'instar des ballets Trockadéro , qui ont repris les grandes pièces classiques pour les danser en riant et en travesti, comme dans cette parodie du Lac des Cygnes. Il s'agit souvent de faire affleurer une personnalité, faite de gestes parasites et d'expressions faciales, dans le corps de la danseuse classique, dont le visage fermé et la parfaite gestuelle sont l'émanation de sa féminité sublime. Sois belle et tais-toi, en somme.
Mais comme le bouffon (au sens théâtral) n'est pas le seul moyen de détourner les codes, parlons un peu du directeur du Centre Chorégraphique National de Biarritz. On présente Thierry Malandain comme un chorégraphe contemporain. Ou néo-classique. Ou moderne. Sa danse est en effet un heureux mélange, reprenant les codes gestuels du classique, pointes tendues, ports de têtes, de bras, arabesques et compositions d'ensembles, auxquels il ajoute un soupçon de liberté, pieds flexes, marches naturelles, dos ronds, et un peu de théâtre... Avec cette écriture précise et originale, il a recomposé les grands titres du ballet classique : Roméo et Juliette, Daphnis et Chloé, le Boléro, Casse-Noisette... En 2013, il offrait au public un nouveau revisitage de talent : Cendrillon.
L'histoire, tout le monde la connaît - merci Walt : sans réseau, on n'arrive à rien. Cendrillon, souillon un peu cruche de la maison, réussit à entrer à la bachelor party du prince grâce à sa marraine la fée. Elle est physiquement intelligente, il tombe amoureux, elle doit partir before midnight, il la retrouve grâce à ses pompes, fin heureuse. Ici, pourtant, on ne s'éternise pas sur la triste condition de Cendrillon, on passe rapidement au bal (qui dure, qui dure...). Point de transformations magiques non plus : on n'est pas chez Arturo Brachetti, hein. La partie du soulier est d'ailleurs un peu décevante.
La magie, par contre, s'exprime dans une mise-en-scène et quelques tableaux que Disney pourrait nous envier : l'ouverture et la clôture, avec leur ronde de corps frémissants, le cercle-carrosse, les mouvements d'ensemble ciselés qui donnent l'impression que les danseurs se démultiplient... Au delà de la magie, nécessaire à la pièce, Malandain a également joué sur l'humour. D'une part parce que la pièce comporte des personnages comiques (le trio belle-mère+Javotte+Anastasie), mais aussi parce que tous, autour, réagissent à leur décalage : Cendrillon est un ballet-bouffe.
Traduire des histoires par la danse ne fait pas intervenir que la mise-en-scène : la gestuelle trahit l'émotion, l'intention. Ainsi, Cendrillon (Miyuki Kanei) est-elle toute en tendresse, en rondeur, en légèreté, pour figurer l'innocence romantique. De même, la belle-mère (Giuseppe Chiavaro) et les demi-soeurs (Frederik Deberdt & Jacob Hernandez Martin) sont-elles toutes en accents, en postures trapues et en pieds flexes, à des kilomètres de la féminité dans les codes classiques.
Si les danseurs principaux (Miyuki Kanei / Cendrillon, Daniel Vizcayo / Le Prince, Claire Longchampt / La Fée) sont techniquement sublimes, leurs prestations souffrent de la lisseté de leurs personnages. Chiavaro, Deberdt et Hernandez Martin, à l'inverse, sont les stars du show, justement parce qu'ils éclatent les codes tout en conservant une précision technique formidable. Dans mon coin, je suis resté bluffé par un second rôle, un danseur fantastique, souple, bondissant, son corps m'a fasciné par la qualité de sa danse... Petite bombe dans un casting plein de personnages plus visibles, Arnaud Mahouy, qui interprète successivement le Maître à Danser et l'Intendant des Plaisirs, m'a captivé.
(Si toi aussi, tu le veux en prof particulier, c'est possible...)
Bref, Malandain signe une petite pépite, un vrai moment de beau geste et de belle composition, équilibré, lumineux, drôle et juste. Même si le bal dure trop longtemps. La faute à Prokofiev, sans doute !