Cuisine et dépendances.
On peut avoir 55 ans et être foutrement moderne. Mats Ek, fils et frère de (Birgit Cullberg, Anders Ek, Niklas Ek, Malin Ek), est surtout un chorégraphe du décalage. La belle au bois dormant héroïnomane, Giselle en hôpital psychiatrique, ou le quotidien sorti de son invisibilité, voilà son fer de lance : la danse comme réinvention - ou redécouverte - de ce que l'on croit déjà connaître. En 2000, à 55 ans, Mats Ek crée Apartment, où il inscrit en milieu domestique une danse du quotidien qui transforme le banal en génial.
Une danse avec un bidet, intime et poétique. Une cuisine où l'on se retrouve, où l'on s'évite. Et voici la danse des aspirateurs. Un pas de deux dans la porte d'entrée (ici, la version Sylvie Guillem + Nicolas Le Riche). Rien de plus basique, peut-être, que ce Suédois regardant le commun, le tous-les-jours, et se lançant dans une reconquête de l'espace et du geste, pour sortir du stéréotype et du mécanique, du pratique et du simplifié. Pourtant, si beaucoup s'y sont aventurés, peu ont su faire fleurir sur le terrain du banal, voire du ridicule (un BIDET, je te dis !!) une telle finesse dans le ressenti transmis au spectateur, une telle délicatesse dans l'intime, une telle énergie joyeuse dans les ensembles, un tel ravissement émerveillé devant ce qui n'est, au final, qu'un type dans son salon ou un couple devant son four à chaleur tournante. Passé après le très néoclassique Dances at a gathering de Jerome Robbins lors d'une chouette soirée à Garnier, Apartment m'a réveillé, m'a fait sourire, m'a soudain captivé. Je crois que ma partie favorite reste le 2e tableau, où le mouvement d'ensemble autour du bidet, masculin et énergique, laisse pantois. Ou peut-être le tableau de la télévision.