"Qu'est-ce qu'un pédophile, sinon un homme qui n'a pas le temps d'attendre ?"
Hier soir, dans le prestigieux temple de la musique classique qu'est la salle Gaveau, Gaspard Proust, subtil produit du métissage centre-européen, donnait la première de son spectacle Gaspard Proust tapine, avant-poste d'une tournée mondiale française qui devrait se jouer à guichets fermés, tant l'Hexagonal lambda que tu es aime les gens méchants qui font rire. On avait l'exceptionnel Pierre Desproges, dont la subversive misanthropie régalait la galerie. On avait l'audacieux Stéphane Guillon, dont la carrière de serial hater a mué en quête du sarcasme idéal chez Ardisson. Les médias ont placé l'ambitieux Suisse Gaspard Proust dans leur lignée, en vertu de son cynisme tous azimuts. A tort ou à raison ?
"Sous Mitterrand, tout était possible. Bernard Tapie était ministre ! De gauche !!"
Contrairement aux deux modèles susmentionnés, le petit Gaspard (35 ans au compteur) ne fait pas dans la cohérence. Je veux dire par là qu'il ne semble pas faire, à proprement parler, de sketches : il donne l'impression de laisser aller sa réflexion au gré de ce qui se présente (un vieux qui tousse, une dinde au rire gras ...). Mais où s'arrête l'improvisation, où commence l'écriture ? En professionnel de la digression, Proust ne perd pas de temps (huhu) à laisser croire qu'il y a un but à sa prose bilieuse, non : il préfère même multiplier les ruptures brutales, les errances incongrues, et avoue même, de temps en temps, qu'il n'avait aucun intérêt à parler de ce dont il vient de parler. Il se prend même à jauger ce qui traverse l'esprit de son public quand il laisse des blancs. Et termine le tout en eau de boudin, comme ça a commencé : sans aucun sens du spectacle. Intéressant, donc : avec Gaspard, on n'a pas l'impression d'être venu au spectacle, mais plutôt d'avoir vu un mec se donner en spectacle. La nuance n'est pas sans faire sourire.
Et sinon, il est méchant, le Gaspard ? Disons que sans en arriver au constat d'échec de Walter (qui était plus Belge que méchant), Gaspard est plus impertinent que vraiment méchant. La désinvolture avec laquelle il attaque chacun de ses sujets - qu'il s'agisse de la religion, du nazisme ou des femmes - lui permet de se construire un personnage franc, assez amoral, plutôt sarcastique, carrément anticonformiste, radicalement antipathique. Je veux dire, pas là, que sa méchanceté apparente te fait mourir de rire, mais que tu préfères l'avoir sur scène qu'à table. Sauf si ce n'est qu'un personnage, évidemment, mais le doute reste entier ... et le petit Proust (né Pust) se satisfait de cette ambigüité. Si son élocution est encore parfois un poil hésitante (le stress, sans doute, hein Gas ?), l'écriture est, par contre, bien ciselée : ironie, sarcasme, cynisme, moquerie directe, glissant d'une vacherie ("Ca les fait rire, les bourgeoises ! Les comices poufficoles !") à une pique ("Quand on n'a plus assez de talent pour faire de l'art, on fait de la culture") en passant par une périphrase taillée à la serpe pour cingler au plus juste ("le festival d'Avignon, ce bois de Boulogne de l'intermittence"). Et, les mains dans les poches, le regard direct et la petite vulgarité sur le bout de la langue, il balaie le public d'un regard joueur un peu provoc', dans un seul but : se rendre facétieusement infect. Oui, c'est ça, comme un gamin qui veut qu'on l'aime parce qu'il est un peu mauvais ... mais quand même plutôt gentil, au fond. Bien qu'il s'en défende.
"On peut beaucoup donner aux gens sans leur consacrer beaucoup de son temps... Regardez Hiroshima."
Je te le disais, Gaspard Proust n'hésite pas à en mettre plein la figure à son public. Comment ? Il stigmatise des genres pour mieux les tourner en dérision : les pauvres du balcon, les vieux des rangs, les bourgeoises refaites à jardin, les gauchistes tendance télérama à cour, et les crétins qui rient pour tout et n'importe quoi, surtout pour les silences gênants. D'ailleurs, en écrivant ce post, je lui donne un peu raison puisqu'il l'avait prédit : "en sortant, vous allez débriefer le spectacle ... comme si vous y connaissiez quelquechose !". Et au fond, le pourrir un peu ne fera que faire grandir la renommée de son personnage autosatisfait. Il se rend donc imbuvable en insultant (jamais individuellement) son public, mais, contrairement à d'autres, il en est content : jamais il ne s'en prend à lui-même, jamais il ne remet en question son personnage, jamais il n'est ridicule, si bien qu'en critiquant tout et tout le monde, il prouve sa supériorité en raillant nos petites misères ... et le masochisme d'un public venu pour en prendre pour son grade fait que ça tape juste. Ca rit de bon coeur, ça rit jaune, ça rit offusqué, mais ça rit, et toutes les deux secondes.
Pourtant le petit Proust fait un peu dans la facilité. Fais une liste des sujets les plus polémiques. Rajoute un soupçon d'ironie politique. Additionne quelques blagues racistes, et saupoudre d'apologies (relatives) de faits que la morale réprouve : tu as le cocktail GP. Pour le coup, des phrases comme "Vous pensez que je ne crois en rien ... et pourtant si, je crois en l'amour" sonnent assez faux, font bien surgir le prétexte foireux pour balancerdes vannes sur les sentiments, la séduction et le sexe. Bateau. Surtout quand, pour finir, il en remet un petit coup pour les pervers du Nord-Pas de Calais...
Résumons : bon ou pas bon, le spectacle ? je te le dis : c'est bon. Très bon, même, parce que j'ai pas mal rigolé. Après, il y a beaucoup à faire pour atteindre le niveau de Guillon-à-ses-débuts : le rythme, la logique du propos, la mise-en-scène (même si c'est chaud, à Gaveau), la pertinence... parce que tout le reste y est : le ton, la gestuelle, les vannes, le politiquement-très-incorrect. Et en plus, y'a plein de choses vraies, dans ce qu'il raconte, alors ...
"mais si, on est tous de droite, au fond ... T'en connais beaucoup des mecs qui, à la chute du Mur de Berlin, ont fui à l'Est ? Vas-y, j't'écoute !"
Pour réserver ta place, à Gaveau ou ailleurs : http://www.gaspardproust.fr/