J'ai vraiment envie.
Il y avait ce quatrième mur. Il était grand, tout noir, semblait bouger, comme une forêt, la nuit. Derrière moi, un grand panneau dessiné. A ma droite - à jardin ! -, il y avait des rideaux, et des filles déguisées en chats entre eux. A ma gauche - à cour -, d'autres filles-chats et une femme grande comme moi, trop maquillée, dont le regard perçant me fixait intensément, c'en était saisissant. Face à moi, donc, ce mur impalpable, fait d'ombre et de poussière, devant lequel je devais danser. Je savais ce que je devais faire. Le chat allait retentir et ce mur tout noir devrait brutalement disparaître dans un puissant halo de lumière, comme pendant les répétitions. Je savais ce que je devais faire. Je ne pensais qu'à une chose : j'ai envie. De le faire. D'essayer. De tout donner.
"Je veux rentrer dans son corps par les yeux et l'occuper tout entier. Je veux l'envahir."
Que se passe-t-il dans la tête du danseur lorsqu'il s'apprête à danser ? Cette question, Marie Nimier, écrivaine au phrasé ample, sensoriel, intellectuel, se l'est posée. En est sorti Vous dansez ?, une série de nouvelles qui, une fois commencées, ne lâche plus ton attention. Courtes, reflétant sans description le cheminement intellectuel de son sujet que l'on vit à la première personne, on passe d'une danseuse à un autre, avec, en incipit de chacune, une citation d'un grand maître de la danse.
"Un danseur qui fait la tronche, pour moi, c'est comme offrir un cadeau en laissant le prix dessus."
Il y en a une qui remontent aux origines de sa danse. Un traumatisme qui donne une vibration qui ne s'arrête jamais, qui a besoin de s'exprimer. Par la danse. Une autre parle du rapport père-fils : un garçon doit-il danser ? Une autre revient sur le concept de la danse, sur son intellectualisation. Peut-on danser sans danseur ? Danse-t-on lorsqu'on est immobile ?
"On fait bien des arts plastiques sans objet,
de l'art à lire, qui se décline avec des mots,
alors pourquoi pas de la danse sans danseurs ?
De la danse avec une idée ?"
Une autre parle du rapport à l'autre. De ce que ça fait d'être réduit à son corps par les autres. D'envisager alors le temps qui passe. Une autre, sur cette idée, se demande ce qui sort de soi et ce qui atteint le public, chaque spectateur. Une autre parle de cette sensibilité, celle que l'esprit crée dans le corps en y portant attention, celle qui naît alors à la surface de la peau, celle qui s'accroche, peu à peu, à tout ce qui entoure le danseur. De quoi faire taire la légende urbaine selon laquelle els danseurs sont des crétins. Puisque c'est ni plus ni moins que la vie, en grands discours existentiels, qui leur traversent l'esprit au moment où le geste s'apprête à être commis.
"Je n'ai rien à dire, rien à exprimer. Je suis un ensemble de cellules qui reçoivent et qui donnent."
Le recueil a donné naissance à des lectures sur scène et en radio (France Culture), puis à des chorégraphies. La compagnie Beau Geste, emmenée par Dominique Boivin, en a fait A quoi tu penses ?, un chouette spectacle salué par la critique. Je sais que tu me trouves un peu monomaniaque... mais quand les mots rejoignent la danse, moi, je fonds.
"J'aimerais enfouir mon visage dans le creux laissé par sa tête sur l'oreiller"
Moi, j'avais juste envie.