Les canards cancan(n)ent
Comme toi, je suis Cannes de près, à la fois frustré de n'avoir que des bandes-annonces à me mettre sous la dent pour répondre aux commentaires des festivaliers, et très affamé par (certains de) ces trailers. Presse, radios et télés se font aussi l'écho de ces projections, et pour résumer, tous les films ont divisé - sans vraiment qu'on sache pourquoi, et sans vraiment avoir envie de savoir pourquoi, pour ne pas biaiser notre regard à venir sur lesdits films en compétition. Je laisse les commentaires sur le tapis rouge et les photocalls aux blogueuses mode.
Tire une carte chance : certains des films en lice pour la Palme arrivent en salles. C'est le cas de Julieta, de Pedro Almodovar, un évènement en soi, décuplé par Cannes.
Dans la presse spécialisée, on a pu lire des articles courts (comprendre "je suis tout seul et je dois écrire un article sur chaque film du festival, donc service minimum") et des plus longs, mais tous ont plus ou moins noyé le poisson - les uns commentant le scénario, les autres digressant sur la forme - pour conclure qu'Almodovar signe un beau film, mais que ce n'est pas ça qu'on attendait de lui. A l'exemple de Thomas Sotinel (pour Le Monde - voir), qui voit dans l'hébétude d'Adriana Ugarte (Julieta jeune) le signe de la faiblesse de son jeu, et non de la dépression du personnage, ce que semble avoir saisi Louis Guichard (pour Télérama - voir), dont l'article fait de la gravité l'émotion enivrante de Julieta, loin des crises de nerfs qui ont fait le succès de ce bon Pedro.
Moins de blabla, voyons un peu :
Ce que ça raconte :
Julieta est sur le point de tout plaquer pour aller de l'avant, quand elle croise Beatriz, qu'elle a bien connu autrefois, qui lui parle d'Antia, et tout ça la replonge dans un gouffre de souvenirs et de bilans qui bouleversent sa vie d'aujourd'hui.
Le thème n'est pas original, et l'histoire n'a rien de foufou - on est loin de l'incroyable La piel que habito (2011) ou du déjanté Les amants passagers (2012) : ici, Julieta raconte son histoire pour la digérer enfin, psychothérapie qui fait remonter culpabilité, plaisirs, acceptations, amours perdues, bonheurs, reconquêtes, peur de la solitude, incompréhension, silence, etc. Des sentiments que Julieta avale, qui l'emplissent, la ternissent, la portent à l'errance hébétée. A des kilomètres, donc, des femmes volcaniques du cinéma d'Almodovar.
Ce qui en ressort :
Almodovar ne s'est pas perdu en route : symbolisme narratif de l'image, travail de la couleur, du cadre, de la lumière, amour de la beauté et des femmes, sublimées, comme le souligne Sotinel avec style ("Pedro Almodovar signale ainsi son désir de filmer de nouveau la beauté – qui est d’ordinaire chez lui un chemin vers la douleur." ou "Almodovar fait un beau film d’une tristesse très pure."). L'éclat de la photographie met en pleine lumière cet état d'être nouveau chez Almodovar : la gravité. L'amertume, l'impuissance, la tristesse - celle dans laquelle certains d'entre nous sont à même de pouvoir se reconnaître. Quelquechose qui freine. Et quand l'envie revient, c'est aussi à coup de pelle dans le passé pour l'enfouir. Et Julieta, elle essaie, elle y arrive, elle rechute. Avec gravité, toujours. Quelque chose d'irrémédiable.
Alors, la gravité, un moyen de renouveau dans la narration selon Almodovar (une période dépressive ?) ou un OVNI dans la furie habituelle de l'Espagnol controversé ? On verra avec le prochain.
Faut-il le voir ?
Ca sent Pedro, ça a le goût de Pedro, mais ça n'en est pas. La forme (rythme, image), le fond (portrait de femme malmenée) sont almodovariens, mais pas le personnage central. Au spectateur d'en décider.
A noter, Camille Drouet, dans le Courrier International (voir), fait état de la grogne des Espagnols envers leur compatriote, accusé de ne plus rien faire de bon depuis Volver (2006), mais annonce surtout que le film "est du genre à remporter des prix" en France. Parce que la dépression, on aime ? Chiche.
Et c'est finalement chez les festivaliers - plus ou moins proches de la presse, cela dit, hein - et en seulement 140 caractères, que l'on retrouve les meilleurs commentaires de ce Julieta, compilés par Vodkaster (voir).
Preuve qu'il n'est pas besoin d'en parler longtemps pour en dire beaucoup.