La mode des tubes de l'été semble s'être dissoute dans l'air des années 2000 - et l'on ne s'en plaindra pas vraiment : autant le côté festif qui rassemble était chouette, autant on a réalisé qu'on n'était pas obligé de le faire sur un son pseudo latino ou antillais prédigéré. A contrario, les producteurs et maisons de disques n'ont pas évolué et continuent à nous matraquer leurs bonnes et mauvaises chansons. Ainsi, si tu veux écouter une antenne musicale qui passe les airs du moment, tu te retrouves obligé d'écouter Perretta ânonner qu'il pleu-eu-eure, ou Timberlake qu'il ne peut stopper le feeling. Côté francophone, le drame est le 3e extrait de la comédie musicale Les Trois Mousquetaires. Non pas qu'il soit meilleur que les 2 premiers singles, non, mais comme il sort l'été, on peut le bombarder sur les ondes pour qu'en plus de payer l'autoroute le vacancier en transit apprenne par coeur, à force de l'entendre 3 fois par heure, le "tube" de la comédie musicale de la rentrée, afin de l'inciter à acheter des places pour aller l'écouter en vrai. Et par "tube", j'entends le refrain facile à retenir - ce que l'industrie musicale appelle un earworm.
Car Les Trois Mousquetaires n'est pas un spectacle hommage à Dumas ou à l'Histoire de France, non : c'est un produit tout fait qui, faute d'histoire originale, en a récupéré une très connue. Comme ça, la production tape directement dans le mainstream, pas de risque de passer inaperçu.
Dans l'historique de l'équipe de prod, il y a certes le reboot de Starmania (pour les Coullier) ou Le Roi Soleil (pour Roberto Ciurleo), mais on sent plus la ressemblance avec le terrible et récent Robin des Bois porté par M.Pokora - succès public mais défaite artistique - qui abondait en textes pauvres en vocabulaire et sans nuances, mais riches en bons sentiments qui font du bien, avec des beaux gosses pour booster la libido les ventes. La recette du musical formaté tient là toute entière : du boum boum en lieu de musique, des paroles faciles sur des thèmes banals, de belles figures pour émoustiller, et du matraquage pour que ça rentre.
Mais comme, sur scène, même les chèvres peuvent jouer avec crédibilité (Véronique Genest en est la preuve), il restait un ingrédient à peaufiner pour que ça marche : de bonnes chansons. Côté musique, quand on manque de talent, on bosse à plusieurs : la prod' annonce fièrement qu'ils ont sollicité DIX compositeurs. Aux textes, on pourrait se rassurer en voyant que le tandem Lionel Florence + Patrice Guirao, qui avait signé les textes intelligents et inspirés des Dix Commandements, est à l'origine des textes des Trois Mousquetaires. Preuve que souvent, auteur varie : là, les textes sont plats et bébêtes, et nous allons le démontrer.
Pour y parvenir, nous allons commencer par nous repaître du clip de "De mes propres ailes", le "tube" de ce "spectacle musical d'envergure". Ne regarde ni la danse ni les physiques, superbes mais qui distraient de ce qu'on te vend : ferme les yeux, et écoute d'une part la musique, de l'autre les paroles.
Alors, la musique.
Un ensemble assez minimaliste, une rythmique au synthé, une ambiance de boîte de nuit, pas vraiment de mélodie, sinon dans la voix, avec peu de variété. Soyons honnête, c'est bâclé. Qu'il s'agisse de la laideur des ponts musicaux ou de ce synthé moche (que même David Guetta doit écouter avec dégoût), rien de cette sous-eurodance clubbisante n'a d'intérêt.
Imaginons un instant que ce sera donc par la richesse des paroles et du message que le titre mérite d'être dans toutes les têtes.
Alexandre Dumas, pardonnez-leur.
Au commencement du roman, le jeune d'Artagnan débarque à Paris pour y devenir mousquetaire du Roi - un destin bien clair, bien tracé dans la tête du gamin. Au commencement du spectacle, d'Artagnan semble donc suivre son histoire, mais rien n'est précisé : la chanson ne parle ni d'arrivée, ni de job rêvé, non, c'est une banale chanson sur les rêves que l'on doit poursuivre. Je me permets toutefois quelques citations, pour rigoler approfondir.
Comme un pont-levis qui s'ouvre à la vie, on ne va loin que jusqu'au bout. Je dois admettre que celle-là, c'est une de mes préférées. Outre que le sens global est inexistant, puisque la comparaison est absurde (aller loin/pont-levis ?) mais aussi non signifiante (quand un pont-levis va jusqu'au bout, estime-t-on qu'il est allé loin, sachant qu'il est simplement basculant ?), et si l'on s'en tient à la seule seconde partie (on ne va loin que jusqu'au bout), on sent que les mecs ont manqué d'inspiration. Parce qu'on peut aller loin ailleurs qu'au bout, et que le bout n'est pas forcément loin, par ailleurs. Mais admettons. A noter également la variation du second paragraphe,
Mais il faut s'en aller quand il le faut. Et inversement, il ne faut pas s'en aller quand il ne le faut pas. Pas vrai ? Tiens, change de verbe : il doit s'en aller quand il le doit. Ou il peut s'en aller quand il le peut. Ca te fait pas mal au français, toi, la redondance ? - un procédé utilisé pour combler le manque de talent nécessaire pour avoir le bon nombre de pieds dans la phrase. Par exemple : Mais il faut s'en aller quand on le doit, ça a du sens de mettre une subordonnée. Mais il faut s'en aller quand il le faut, ça n'a aucune valeur, ni sémiologique, ni sémantique. J'insiste. Cela dit, la redondance, c'est la base de cette chanson : de mes propres ailes, voler de mes propres ailes.
Mais à quoi sert qu'on naisse, à quoi sert qu'on meure, sans avoir vécu ses rêves même les plus fous ? S'il sous-entend que ça ne sert à rien, mourrons tous tout de suite : personne ne peut réaliser absolument tous ses rêves, et surtout pas les plus fous (moi, par exemple, je n'aurai jamais le don d'ubiquité, ou ne pourrai jamais vivre dans un monde rigoureusement tolérant #MissFrance). Mais rentrons dans le détail : "à quoi sert qu'on naisse (...) sans avoir vécu ses rêves les plus fous ?" : parce qu'il envisage donc qu'on puisse vivre avant d'être né. OKAY.
Sans vous oublier-er... Nouvelle preuve de l'incapacité des auteurs à écrire des refrains avec le bon nombre de syllabes.
Alors, je conçois qu'on veuille faire des messages simples pour porter une émotion populaire, mais personne n'oblige les auteurs à faire dans le simplet simplisme, dans la faute de français, dans l'assemblage de phrases qui ne veulent plus rien dire une fois mises ensemble. Parce qu'un texte, c'est un ensemble de phrases mises ensemble, dont le sens individuel s'ajoute pour créer un sens global. Là, ta prof de français de 6e te met zéro.
Mais surtout, big up à Olivier Dion qui chantonne tout ça avec un sourire béat qui semble laisser croire qu'il est complètement crétin.
Voilà.
Je voulais remercier tous les professionnels de la Culture et du Spectacle qui ont permis au plus grand nombre de savourer ce grand moment d'Art offert au monde et à la postérité, dans le seul but de bouffer, sans jamais culpabiliser d'abêtir à ce point le public à coup de médiocrité.