Marilyn, ce n'est plus un prénom, c'est un mythe. Facile à dire, difficile à expliquer ... Marilyn existait, elle vit toujours : non pas physiquement (de ce point de vue, elle n'a toujours été qu'un esprit parasitant le corps et l'esprit de Norma Jean), mais spirituellement. C'est à dire que ce que véhiculait "Marilyn" a imprégné les mentalités, les imaginaires, les attitudes, au point qu'au delà de son statut d'icône, elle est entrée dans la mythologie contemporaine (quotidienne, en somme), avec ce que ce phénomène a de formateur, d'institutionnel et de contraignant.
A la fois femme fatale, lolita, respectable et sensible autant que sexuelle et désirable (donc "à salir", si tu me permets l'expression), Marilyn n'a pas de définition nette : elle est un concept, une idée de l'éternel féminin, pendant longtemps la seule image possible de la blonde (solaire, voluptueuse, fragile, par opposition à la brune mystérieuse, intellectuelle, dangereuse) ... on pourrait continuer longtemps, tant cette image de la femme est intense et, encore aujourd'hui, créatrice d'exégèses et d'attitudes.
Se confronter à un mythe (i.e. un élément constitutif d'une mythologie), s'en saisir et l'utiliser, c'est par excellence l'exercice casse-gueule, et l'assurance de se faire flinguer par 100% des gens qui n'adhèrent pas à cette utilisation, à ce détournement. Warhol en avait fait les frais, et puis ... il a ajouté sa pierre au mythe Monroe. Les Américains sont forts pour utiliser leurs mythes ... Nous, non.
Et demain, sur tes écrans, tu pourras voir la tentative de Gérald Hustache-Mathieu. Il est français (ouhla ...), il est inventif (ah ?), il est méticuleux (allons bon ...) et il est passionné (sans commentaire). Après un court, un moyen et un long, GHM présente Poupoupidou, un polar comique sensible (si si ...), avec un casting et des partis pris intéressants. Invité par Cinéfriends, j'ai pu le voir au Club de l'Etoile avec Poupouche ... et je vais t'en toucher deux mille mots.
Scénario : David Rousseau (Jean-Paul Rouve), romancier, débarque de Paris dans la ville la plus froide de France, Mouthe (à la frontière suisse), pour l'héritage de sa tante. Il y trouve un village plongé dans le désarroi suite au suicide par overdose médicamenteuse de la starlette locale, Candice Lecoeur (Sophie Quinton), retrouvée dans la neige de la zone interfrontalière. Un lieu improbable qui empêche toute enquête puisqu'aucune autorité n'y a cours. Hum ... voilà de quoi faire un bon roman pour le père Rousseau ... Sauf que, plus il en découvre sur Candice, plus il développe pour elle une fascination semblable à celle que l'on a pour Marilyn. D'ailleurs, les similitudes avec Marilyn sont ... troublantes. Comme si leurs vies étaient parallèles. Ou mieux : comme si Candice était Marilyn ... réincarnée. Rajoute, dans le paysage manichéen (quasi noir et blanc) de la montagne enneigée, Bruno Leloup (Guillaume Gouix) un flic mystérieux, sombre, aussi inquiétant qu'attirant ... Et paf, tu as un film qui a de bonnes chances de s'éloigner des rives du cinéma français raté pour entrer dans les eaux profondes du cinéma français riche et créatif. Oui ? Oui.
La vraie richesse de ce film, c'est la créativité et le sample. D'un côté, GHM installe une ambiance efficace autant que plurielle : sérieuse, légère, sensuelle, propice à la rêverie autant qu'à l'enquête. Le spectateur est invité à ressentir ET à réfléchir. Il collecte les indices en même temps que Rousseau, fantasme (au sens noble, hein) tout autant ... bref, le film propose un voyage sur les deux versants de cette histoire, avec une palette d'ambiances toute en nuances, chacune amenée avec finesse, sans à-coups. Brillant. D'un autre côté, GHM fait appel à ce qu'il nomme lui-même un "sample" : au cinéma, ce formidable moyen de création visuelle, beaucoup de choses ont été faites, par autant de génies ; du coup, réutiliser leurs approches, manipuler leurs matière cinématographique, c'est aussi créer. Ce qu'on pourrait appeler de la re-création. Dès lors qu'on touche à un mythe, on retombe sur cette idée du sample : le mythe est contraignant, il impose ses images ... le cinéma aussi. Dans la salle, après, on parlait de Fargo. Moi j'ai plutôt pensé à American Beauty (la séance photo avec les pompiers), à The last sitting (by Bert Stern, pour les scènes au voile), voire même à Giorgino (pour la captation de la forêt noire sous la neige). Autant de gymnastique mentale esthétique qui plaît au cinéphile que je suis. Si, là-dessus, tu rajoutes un rosebud lisible (le n° 5), c'est banco.
Un des trucs absolument jouissifs, c'est la proximité entre Sophie Quinton et Marilyn Monroe ... Sophie n'a pas essayé de faire du Marilyn, non : elle s'est laissée porter par le scénario, et par la mythologie Monroe. Pas d'imitation, ni même d'hommage, mais un vrai jeu d'actrice, sensible, sensuel, solaire. C'est vraiment magnifique. Il y a beaucoup à en dire ... mais je te laisse le soin de t'en prendre plein les mirettes par toi-même.
Poupoupidou
un film de Gérald Hustache-Mathieu
avec Sophie Quinton, Jean-Paul Rouve, Guillaume Gouix,...
En salles le 12 janvier 2011
Les filles, profitez-en : GHM venge des décennies de femmes nues au cinéma avec deux scènes d'hommes en nudité frontale. Et Gouix n'est pas homo !